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Comment Robert Pattinson est devenu (un acteur) cool

Il aurait pu cracher dans la soupe et devenir aigri. Il aurait pu refuser d’entendre parler du moindre superhéros jusqu’à la fin des temps. De peur de réactiver un syndrome de stress post-traumatique, sa malédiction « Twilight » : la surexposition, le mélange d’hystérie populaire et de mépris artistique, l’intimité piétinée. Les hurlements et les ricanements.

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Oui Robert Pattinson avait tout à perdre en mettant le cap sur Gotham City, en reprenant un personnage aussi sublimé par Christian Bale qu’abîmé par Ben Affleck. R-Patz n’en était plus là, il avait tout fait pour. Depuis dix ans, les ricanements s’étaient tus. Une décennie de cinéma d’auteur, de choix pointus, de seconds rôles sophistiqués, une décennie à déconstruire l’icône et à faire progresser l’acteur, sans la ramener, sans réclamer médaille ni statuette. En préférant le tapis rouge de Cannes à celui des Oscars. Avec une humilité aussi palpable dans ses choix de carrière que dans ses interviews, souvent un peu lunaires, décousues, riches en anecdotes peu valorisantes, pleines d’autodérision britannique. « Quand je participe à un talk-show, je ne sais littéralement pas ce que je dis », confiait-il le mois dernier à Jimmy Kimmel sur ABC, avant de parler anus de chauve-souris et pause pipi en « batsuit ».

Comment Robert Pattinson est devenu (un acteur) cool

Un acteur singulier et malléable à volonté

Robert Pattinson, acteur singulier qui n’a pas de discours sur lui-même, de velléités à soigner sa popularité au « Saturday Night Live » ou dans la dernière vidéo virale d’un Jimmy Fallon. L’idole des jeunes filles n’est pas devenue « cool » en tant que bon client sur les plateaux ou les réseaux sociaux, mais grâce à ses rôles.

Qu’il crapahute dans la jungle amazonienne (« The Lost City of Z »), les bas-fonds du Queens (« Good Time ») ou aux confins du système solaire (« High Life »), qu’il campe un pasteur pervers (« Le diable tout le temps »), un braqueur attardé (« The Rover ») ou un gardien de phare allumé (« The Lighthouse »), qu’il joue avec l’accent de l’Ohio, de la Cour de France (« Le Roi ») ou du bush australien, qui aurait cru que l’inaltérable Edward Cullen révélerait non seulement un goût de la métamorphose, mais un véritable talent dans ce domaine ? « Robert Pattinson méconnaissable » est devenu un pléonasme. Couleur des yeux et des cheveux, démarche, voix, tics, posture, barbe de trois jours ou de trois mois, lunettes, maigreur, rides, faux ventre, vrais biceps, tout l’amuse. Et les cinéastes chevronnés (Claire Denis, James Gray, David Cronenberg…) comme émergeants (David Michôd, les frères Safdie…) en profitent, ils ont tout à y gagner : une star et un interprète malléable à volonté, l’effet de curiosité inclus.

Une virilité inédite

Notre transformiste aurait pu en rester là, mais « Tenet » marque un tournant, fin 2019. Sur le tournage, on retrouve un Pattinson patiné mais glamour, chemise cintrée, mèche blonde, sourire en coin. On ne l’avait pas vu comme ça depuis des lunes. Sur le plateau, le futur Batman prépare déjà l’après, il a décroché son téléphone pour candidater auprès de Matt Reeves, le réalisateur qui ressuscitera une énième fois le justicier milliardaire. L’homme chauve-souris en a bien besoin, lui qui a pris du plomb dans l’aile depuis 2016 et ses apparitions dans des films choraux et laborieux (« Batman vs. Superman », « Justice League ») sous les traits de Ben Affleck. Les fans s’insurgent, pétitionnent, mais c’est la routine pour DC Comics, dont les castings font historiquement grincer des dents.

En 2020, un autre signal faible retentit et ce n’est pas sur le grand écran, mais sur le petit. Confiné pour la première fois, l’Occident découvre en boucle dans son canapé la nouvelle publicité Dior Homme. Pattinson est sous contrat depuis sept ans avec le parfumeur parisien, pour lequel il a tourné des spots oubliables. Mais la campagne de février 2020, rythmée par les graves rocailleux de Leonard Cohen, vient fixer quelque chose. Une virilité inédite, une fronde dans le regard, un aplomb canaille, cette « jawline », mâchoire parfaitement rectiligne, dont il joue effrontément. Au fil de 45 secondes incendiaires, ce nouvel homme soulève sa dulcinée comme un poids plume, qu’il l’entraîne sous la table ou la juche sur un banc. Il la protège des prédateurs, boxe, danse, transpire, bande les muscles. Si ce n’est pas là un homme réconcilié avec son exposition, si ce n’est pas là un homme prêt à être désiré de nouveau, mondialement, alors de quoi est-ce le nom ?

L’autoproclamé « outsider » approche les 35 ans, il est prêt à rentrer dans l’ombre de Gotham City et la lumière du star system. Matt Reeves enfonce le clou à l’été 2020 en dévoilant, alors qu’il n’a tourné « que 25% du film », une bande-annonce crépusculaire de « The Batman ». Sur une ambiance grunge croisant « Seven » et Nirvana, on y voit un Pattinson enragé fracasser un truand à coups de poings et lâcher une seule réplique d’une voix spectrale « I’m vengeance ». Plus personne ne ricane sur sa carrure, les épaules qu’il faut avoir sous la cape. La messe est dite et le triomphe annoncé. Edward Cullen cède la place à Bruce Wayne, comme un mythe en suppléerait un autre. Une manière de dire « J’assume » en regardant Hollywood droit dans les yeux.