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JO-2020: le jour où Simone Biles a craqué

TOKYO, Japon | Simone Biles a craqué. La superstar de la gymnastique a abandonné mardi ses coéquipières au début du concours général par équipes de gymnastique aux JO de Tokyo après avoir raté son premier mouvement au saut, puis a raconté à la presse devoir «faire face à ses démons» et «ne plus avoir autant confiance» que par le passé, ni prendre autant de plaisir à exercer son sport.

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L’Ariake Gymnastics Centre de Tokyo se souviendra longtemps du 27 juillet 2021, le jour où Simone Biles, compétitrice hors pair, a renfilé son survêtement en pleine compétition.

Signe avant coureur lors des qualifications de dimanche, les erreurs que la quintuple championne olympique n’a pas l’habitude de faire. Elle était tout de même parvenue à se qualifier pour les six finales au programme à Tokyo, un exploit rarissime.

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Mardi, tout commence par un passage au saut bien en dessous de ses standards habituels, conclu avec une note de 13 766 points. Elle semble déçue, ne pas comprendre ce qui se passe elle-même, elle s’entretient avec ses entraîneurs, puis disparaît à la stupéfaction générale des journalistes présents et des membres des équipes en tribune.

Avant de revenir comme remplaçante aux barres asymétriques. Sur la fiche de déroulement du concours, elle passe en «R», pour remplaçante.

Danse et applaudissements

La Fédération américaine indique alors à l’AFP qu’elle est incertaine pour la suite des Jeux et évoque des «raisons médicales». Pourtant, Simone Biles ne semble pas blessée: la preuve, elle fait des étirements le long de la poutre et reste debout pour encourager ses coéquipières. Elle crie, saute, bat des mains, de manière appuyée. Elle danse au son des musiques qui passent lors des passages au sol.

Trois caméras la suivent en permanence et ne lui laissent aucun répit. Elle encourage l’équipe qu’elle vient de laisser en rase campagne.

Ses entraîneurs, Cécile Canqueteau-Landi et Laurent Landi, un couple de Français qui l’entraîne depuis 2017, échangent régulièrement avec elle, par des mots ou des regards.

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Elle passe quasiment tout le concours au bord des tapis. Puis reçoit avec l’équipe américaine la médaille d’argent du concours par équipes, enjouée sur le podium. Le président du CIO, Thomas Bach, lui dit quelques mots.

Les États-Unis, diminués par la perte de leur leader, sont détrônés par la Russie.

À 24 ans, Simone Biles est considérée comme la plus grande gymnaste de tous les temps. Et elle était déjà donnée grande gagnante de ces JO, depuis des mois. Elle est réputée pour avoir un mental d’acier.

«Simone vs herself»

Elle aura «de la pression sur les épaules», avait concédé il y a quelques semaines son entraîneur Laurent Landi.

Mais c’est elle, celle qui se considère comme une «survivante» au titre des victimes d’agressions sexuelles du médecin de l’équipe américaine, qui vient elle-même expliquer ce qui se passe, chaleureusement entourée de son équipe.

«Dès que je monte sur le tapis, c’est juste moi et ma tête... traiter avec des démons dans ma tête [...] Je dois faire ce qui est bon pour moi et me concentrer sur ma santé mentale et ne pas compromettre ma santé et mon bien-être», a-t-elle expliqué, les pleurs se mêlant à ses confidences.

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Simone contre elle-même, «Simone vs herself», comme le titre du documentaire qu’elle a produit, diffusé tout récemment.

Championne hors norme, Biles, 24 ans, pouvait viser à Tokyo le record de la Soviétique Larissa Latynina et ses neuf médailles d’or. Après sa déconvenue de mardi, celle qui n’a plus perdu de concours général depuis 2013 a décidé de «prendre les jours les uns après les autres et de voir comment cela va se passer».

Son prochain rendez-vous à Tokyo est fixé à jeudi avec le concours général. À moins qu’elle ne fasse faux bond...

JO-2020: le jour où Simone Biles a craqué

TOKYO, Japon | Placée en famille d’accueil dans son enfance, agressée sexuellement à l’adolescence, Simone Biles a surmonté toutes les épreuves pour s’installer au sommet de la gymnastique, avant d’étaler sa fragilité lors du concours général par équipes des Jeux olympiques de Tokyo.

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Peu s’attendaient à ce qu’elle craque en pleine lumière et abandonne ses coéquipières: «Je n’ai plus autant confiance en moi qu’avant [...] J’ai l’impression que je ne prends plus autant de plaisir qu’avant», a-t-elle expliqué pour justifier son abandon, qui n’a pas empêché «Team USA» de terminer deuxième.

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Elle reste la plus grande gymnaste de tous les temps: elle-même en joue, en arborant sur son justaucorps la tête d’une chèvre en strass, goat en anglais, jeu de mots avec GOAT, acronyme pour «greatest of all time», soit le meilleur sportif de tous les temps dans sa discipline.

Jamais, avant elle, une gymnaste n’avait coiffé cinq couronnes mondiales au concours général. «Parfois, je me demande comment je fais, j’aimerais pouvoir m’extraire de mon corps pour me voir de mes propres yeux», s’étonne-t-elle.

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Elle raconte avoir toujours adoré «la sensation de voler» que lui procure la gymnastique. Plus athlétique, plus puissante, la petite bombe texane (1,42 m, 47 kg) plane au-dessus de toutes. Quatre acrobaties (deux au sol, une à la poutre et une au saut) portent son nom, ce qui signifie qu’elle est la première à les avoir réussis en compétition internationale.

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Pour l’instant. Manière de toujours repousser les limites, elle a ajouté dans sa botte secrète une nouvelle figure au saut, jamais réalisée par une femme.

«Sauvée» par ses grands-parents

Quand la petite Simone découvre la gymnastique à six ans lors d’une sortie scolaire, un entraîneur la repère immédiatement.

Ça pourrait ressembler à un conte de fées, ce n’en est pas un. Car sa petite enfance, Biles, née dans l’Ohio, la partage avec une mère «dépendante à l’alcool et à la drogue», qui fait «des allers-retours en prison», ce qui vaut à elle et à ses trois frères et sœurs d’être placés en famille d’accueil, confie-t-elle avec émotion à la télévision américaine en 2017.

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«Je n’ai jamais pu compter sur ma mère biologique. Je me souviens que j’avais toujours faim, toujours peur.»

«Mes grand-parents m’ont sauvée», dit-elle de Nellie et Ron Biles, qu’elle considère comme ses parents et qui ont changé le cours de son histoire en l’adoptant, ainsi que sa petite sœur, tandis que le reste de la fratrie a atterri chez d’autres membres de la famille.

Dès ses huit ans, Biles fait une rencontre décisive, celle d’Aimee Boorman, l’entraîneuse qui la portera vers les sommets, sa «deuxième maman» aussi, qui veillera à son équilibre sur les agrès comme dans la vie.

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C’est sous son aile qu’elle devient, à 16 ans, championne du monde pour la première fois, en 2013. Avec elle aussi qu’elle s’offre ses podiums olympiques en 2016.

«Je suis beaucoup plus que ça»

Boorman partie en Floride, la Texane d’adoption renoue avec l’entraînement sous la direction des Français Laurent Landi et Cécile Canqueteau-Landi après une année post-olympique sabbatique.

C’est peu après que Biles dévoile une autre blessure intime: en janvier 2018, elle révèle faire partie des plus de deux cents victimes de Larry Nassar, l’ex-médecin de l’équipe féminine américaine de gymnastique condamné lourdement pour des centaines d’agressions sexuelles commises pendant deux décennies.

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Sortie du silence, elle n’hésite pas depuis à dénoncer publiquement la passivité des autorités sportives américaines.

Quand la Fédération américaine de gymnastique lui souhaite un «bon anniversaire», elle lui répond sans ménagement qu’elle ferait mieux de lancer une enquête indépendante sur ces violences sexuelles.

Après «tout ce que j’ai traversé avec la fédération, retrouver l’amour du sport et être simplement Simone, ça a été un long chemin», confie-t-elle.

Elle ne cache pas non plus, dans le documentaire Simone vs herself, ce qu’a signifié en termes de souffrance les violences qu’elle a subies: des heures sous la couette et de consultations psychiatriques.

Mais «je sais que cette expérience horrible ne me définit pas», explique Biles, qui a soutenu avec force le mouvement Black lives matter et chez qui Cécile Canqueteau-Landi voit une volonté de «marquer l’histoire» aussi parce que «c’est une athlète noire».

«Je suis beaucoup plus que ça, martèle-t-elle. Je suis unique, intelligente, talentueuse, motivée et passionnée. Je me suis promis que mon histoire serait bien plus grande que ça.»