Très attendu après un acquittement, le procès en appel pour « viols et agressions sexuelles » contre l’ancien secrétaire d’Etat et maire de Draveil s’ouvre cette semaine devant la Cour d’assises de Paris. Une affaire surréaliste, qui débute par des massages et de la « réflexologie plantaire » pour se terminer en partie à trois avec, au cœur des débats, la question du consentement.
Il fut un temps où les mœurs en cours à la mairie de Draveil, dans l’Essonne, avaient de quoi faire rougir lesbunniescourt vêtues du manoir de Playboy : une sexualité débridée, des plans à deux ou trois. Mais, loin du libertinage, la justice retient les faits gravissimes de « viols et agressions sexuelles en réunion » dont Georges Tron, et à son ex-adjointe à la culture, Brigitte Gruel, devront répondre devant la Cour d’assises de Paris à partir du 19 janvier et durant un mois. Si l’affaire est rocambolesque, les faits sont particulièrement graves et passibles de vingt ans de prison. En première instance, les deux accusés ont été acquittés par la Cour d’assises de Bobigny, lavés ainsi de tout soupçon en novembre 2018. Mais le ministère public, qui représente la société au procès, persuadé de leur culpabilité, a décidé d’interjeter appel. Un deuxième acte judiciaire s’ouvre donc où seront de nouveau déballées les pratiques baroques de celui qui fut secrétaire d’Etat à la fonction publique en 2010-2011 et, à ce titre, chargé de sabrer dans les effectifs des fonctionnaires.
En mai 2011, alors que l’affaire DSK stupéfait le pays, Georges Tron est contraint de démissionner de ses fonctions gouvernementales à la suite de sa mise en examen. Deux anciennes employées de la mairie, Virginie Faux et Éva Loubrieu, l’accusent de leur avoir imposé des relations sexuelles qui auraient débuté par… de relaxants massages des pieds. Portant beau, charmeur et charismatique, l’homme politique est en effet un fervent adepte et pratiquant de la réflexologie plantaire. Cette ancestrale méthode chinoise, qui relève plus de la croyance païenne que de la science médicale, consiste à exercer de délicates pressions sur des endroits précis de la voute des pieds cessés projeter une zone, un organe ou une partie du corps qu’il convient de soulager.
Lors du premier procès, Virginie Faux a raconté avoir sollicité un emploi auprès de Georges Tron qui l’aurait invitée à déjeuner, dissertant sur sa passion pédestre, puis l’incitant à déposer son pied sur sa cuisse durant le repas. En septembre 2008, la voilà embauchée, agent contractuelle rattachée au cabinet du maire. Les séances auraient viré au salace, avec caresses intimes et pénétrations digitales. Les massages qui n’en sont plus se seraient déroulés au domicile de l’adjointe, avec sa participation, ou au château de Draveil dont le cadre style lupanar a interloqué les policiers lors d’une perquisition : « Les lieux apparaissent singulièrement aménagés et décorés, les enquêteurs y découvrant un décor en noir et blanc, avec volets fermés et rideaux noirs, des bougies et un bar fourni ». La deuxième plaignante reconnaît s’être laissée caresser le mollet en échange d’une promesse d’embauche à la mairie. Éva Loubrieu aurait donc accepté ainsi de « libérer ses flux d’énergie » mais n’aurait plus consenti à l’arrivée de l’adjointe à la culture s’invitant pour « coucher à trois sur la moquette ».
Georges Tron, tout comme son ex-adjointe, nient en bloc. L’élu pointant même un règlement de comptes politique fomenté alors par des membres du Front national proches d’une des deux plaignantes. Mais celles-ci n’en démordent pas. A l’été 2009, Éva Loubrieu est licenciée de son poste à la médiathèque municipale au motif d’un vol. Un an plus tard, elle commet une tentative de suicide. Virginie Faux, elle aussi, a attenté à ses jours. Et c’est la rencontre entre les deux femmes qui les décident à déposer plainte.
Georges Tron se voit affublé du surnom de « masseur chinois ». J’ai, personnellement, pu constater le climat surréaliste et délétère qui régnait à Draveil. Fin 2012, à la clôture d’un salon du premier roman organisé par la municipalité, le maire s’avance pour remettre un prix. Aussitôt, des opposants placés aux quatre coins de la salle se lèvent et les insultes fusent : « Salaud ! », « Violeur ! », « Ordure ! ». Ambiance…
Cette affaire souligne toute la complexité de la majorité des viols sur lesquels les jurés d’une Cour d’assises doivent trancher. Un viol ne se résume pas à la plus grave des violences sexuelles, il est avant tout affaire de pouvoir. Le pouvoir exercé sur la victime, l’irrésistible pression, physique ou psychologique. La question qui se pose alors à la justice n’est pas tant celle du consentement que de la qualification juridique du consentement. En clair, le ressenti de la victime se jauge et se heurte à la lettre de la loi.
L’affaire du secrétaire d’Etat-« masseur chinois » n’échappe pas à la règle. Dans un premier temps, Georges Tron a bénéficié d’un non-lieu au stade de l’instruction. Charges insuffisantes, faits non constitués, pas de viol ni même d’agression sexuelle. Le parquet fait appel et la procédure explose de nouveau en vol lors du premier procès. Éric Dupond-Moretti assure alors la défense de Georges Tron. A l’encontre de tous les usages de sa profession, l’avocat se livre alors à un coup d’éclat. Il fait publiquement état à l’audience d’une conversation privée, à laquelle il n’a pas assisté, où le président de la Cour avait confié son malaise et dit qu’il aurait « préféré que cette affaire soit jugée par une femme ». Le magistrat n’a alors pas eu d’autre choix que de se récuser. Retour à la case départ, nouveau procès. Pour maître Dupond-Moretti, tous les moyens sont bons. Et le ténor du barreau va appuyer là où ça fait mal. Quatre anciennes employées de la maire viennent témoigner de relations sexuelles consenties avec l’élu.
Comme trop souvent lors d’un procès d’assises pour viol, les jurés sont transformés en voyeurs et les victimes en accusées. Un non-lieu à l’instruction, un magistrat professionnel gêné aux entournures, des parties de jambes en l’air entre adultes consentants : voilà du pain bénit pour la défense. D’autant que le dossier est fragile. C’est bien la qualification juridique du consentement qui sera jugée en appel et qui a conduit à un acquittement. Pour qu’il y ait viol, la loi exige que l’une de ces circonstances soit avérée : « violences, menaces, surprise ou contrainte ». « Il ne m’a jamais menacée, a reconnu Éva Loubrieu, mais tout me portait à croire qu’il pouvait à la fois me donner ou me retirer du travail ». Idem pour l’autre accusatrice qui indique qu’elle craignait de perdre son emploi auprès de la mairie. L’avocat général a eu beau dépeindre Georges Tron comme un « comte Dracula qui vampirise ses victimes », réclamer six ans de prison ferme assortie d’une peine d’inéligibilité, pour la première Cour d’assises les accusés ont bien « participé à des ébats sexuels en présence de tiers dans un climat général hypersexualisé », mais il « n’a jamais été rapporté la preuve d’une contrainte ».
En 1766, l’éminent juriste Cesare Beccaria déplorait dans son fameux traité « Des délits et des peines », fondement majeur de notre Droit, que le procès était assurément fait pour l’accusé, moins surement pour la victime. Beccaria écrivait ainsi : « Le victime se doit d’entrer dans le procès pénal sur la pointe des pieds ». De la pointe des pieds à la voute plantaire, il n’y a qu’un pas que vont franchir les jurés de la Cour d’assises de Paris.