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RDC – Christophe Mboso : « Pour la paix, nous sommes prêts à composer avec le diable »

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Tout semble trop grand dans ce bureau de l’Assemblée nationale congolaise : les rideaux, les photos, les tables, les mètres carrés… Trop grand pour Christophe Mboso ? L’œil pétillant, l’octogénaire semble sautiller à travers la pièce, incapable de cacher son plaisir d’être roi en ce royaume. À l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, en 2019, nul n’aurait pu prédire l’arrivée du doyen des députés au perchoir. Christophe Mboso lui-même semble encore s’en étonner.

Mais il a habilement manœuvré. Lui qui était l’un des députés du camp de Joseph Kabila s’est fait artisan du renversement de Jeanine Mabunda, en décembre 2020, puis de la majorité tenue par le Front commun pour le Congo (FCC), avant de prendre la tête de l’Assemblée nationale en février dernier et de devenir l’un des proches alliés du président Tshisekedi.

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Il est depuis saisi de certains des dossiers politiques les plus brûlants. C’est lui qui a fait voter l’état de siège dans l’Ituri et le Nord-Kivu, deux provinces de l’Est, en mai. Lui encore qui a mis à l’ordre du jour la nomination de Denis Kadima à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Des décisions controversées que Christophe Mboso assume. Il s’en explique face à Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Le 3 février dernier, vous êtes arrivé par surprise à la tête de l’Assemblée nationale. Comment avez-vous vécu cette première année au perchoir ?

Christophe Mboso : Cela a été une année de tous les risques. À chaque instant, tout pouvait basculer et mal tourner, mais finalement, cela s’est bien passé. Malgré quelques contestations ici et là, on travaille désormais dans la sérénité et on parvient à des résultats.

Cela signifie-t-il que, malgré le renversement de la majorité tenue par le FCC de Joseph Kabila, vous avez le sentiment que la situation politique est apaisée ?

Oui, on y travaille sans cesse pour sauvegarder la paix et la sérénité.

Si les Congolais n’ont pas réagi au changement de majorité, c’est bien qu’ils étaient d’accord

Certains estiment que vous devez votre poste à un coup d’État constitutionnel…

Vous voyez : je ris ! Ce n’était pas du tout un coup d’État, c’est le résultat de l’auto-détermination d’un peuple. Le peuple réclame de la justice, un État de droit, la démocratie, il veut que les choses évoluent. C’est ce qui a poussé un grand nombre de députés à apporter du changement. Et ce changement de majorité a eu le soutien du peuple. Si les Congolais n’ont pas réagi, c’est bien qu’ils étaient d’accord.

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Êtes-vous sûr de la fidélité des députés de votre majorité, l’Union sacrée ? Lorsqu’un élu a été acheté une fois, pourquoi ne le serait-il pas à nouveau ?

Je n’ai aucune crainte et j’ai toute confiance en cette majorité. Désormais, il faut entretenir cette relation. C’est comme une fleur : si vous n’en prenez pas soin, elle fane.

Vous ne doutez pas non plus des députés proches de Moïse Katumbi ? Celui-ci semble hésiter à rester dans votre camp…

En tout cas, ils sont encore avec nous ! Tant qu’ils n’ont pas annoncé leur départ, nous leur faisons confiance.

Tous les députés qui sont complices doivent quitter les groupes armés

Parmi les dossiers sensibles sur votre bureau, il y a celui de l’état de siège, instauré en mai et de nouveau prorogé ce mardi 30 novembre. Va-t-on en sortir un jour ?

Nous en sortirons. Cela fait vingt ans que l’État lutte dans l’Est mais jusque là, aucun régime n’avait osé décréter un état de siège. C’est un choix courageux ! Nous voulons mettre fin aux atrocités et nous avons besoin de la cohésion de tout le monde pour y parvenir. Nous reconnaissons qu’il y a des faiblesses opérationnelles, mais nous sommes déterminés à y remédier.

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Dans l’une de vos interventions au perchoir, vous avez demandé aux député de quitter les groupes armés. C’était une déclaration étonnante…

Je veux dire que tous ceux qui sont complices, qu’ils soient civils ou militaires, doivent quitter les groupes en question.

Avez-vous des informations sur des complicités au sein même de votre Assemblée ?

Chacun doit regarder sa conscience.

L’armée ougandaise a déjà opéré dans l’Est du Congo. Pourquoi en fait-on aujourd’hui un tabou ?

RDC – Christophe Mboso : « Pour la paix, nous sommes prêts à composer avec le diable »

L’Ouganda a officiellement débuté des opérations militaires sur le sol congolais contre les Allied Democratic Forces (ADF), le 30 novembre. Avez-vous au préalable été consulté ou informé par le président Tshisekedi ?

Comme pour l’instauration de l’état de siège, nous avons été les premiers à demander à l’État d’agir. Le chef de l’État a entendu son parlement crier, il a pris à bras-le-corps ce dossier. Mais je vous rappelle qu’avant même son arrivée au pouvoir, l’armée ougandaise avait déjà opéré dans l’Est du Congo. Pourquoi en fait-on aujourd’hui un tabou ?

Si le sujet est si sensible, c’est parce que, par le passé, les troupes ougandaises et rwandaises ont commis des massacres sur le sol congolais…

J’en suis conscient. Nous avons d’ailleurs été en procès avec l’Ouganda pour son entrée sur notre sol en 1998, et Kampala a été condamné. Si un État voisin cause des dégâts chez nous, nous irons devant les tribunaux internationaux pour obtenir justice. Mais je crois qu’à la différence d’autres États, l’Ouganda n’a pas d’ambition expansionniste.

Ce feu vert donné à l’Ouganda, n’est-ce pas un aveu d’impuissance pour la RDC ?

Non. À travers le monde entier, des États viennent au secours d’autres États. Nous reconnaissons certaines faiblesses, mais ce n’est pas un aveu d’échec. Si c’est pour rétablir la paix, nous sommes prêts à composer avec le diable.

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Après l’Ouganda, un feu vert va-t-il être donné au Rwanda ?

Je ne crois pas.

Paul Kagamé était le 25 novembre à Kinshasa. Savez-vous comment il a réagi lorsque Félix Tshisekedi l’a informé de l’imminence d’une opération ougandaise ?

Je ne connais pas sa réaction. Mais ce qui touche la RDC et l’Ouganda peut un jour toucher le Rwanda donc nous n’avons pas d’autre solution que de tous coopérer.

Les confessions religieuses ne peuvent pas tout bloquer, ils n’ont pas de droit de veto

Les représentants des Églises catholique et protestante étaient fermement opposés à la nomination de Denis Kadima à la tête de la Ceni, confirmée mi-octobre. Quelle issue peut-on trouver à cette crise ouverte entre les religieux et l’État ?

Je crois que la crise est en train de s’éteindre, nous sommes en train de nous parler. Mais je voudrais souligner une chose : il n’y a pas eu de forcing pour obtenir la désignation de Denis Kadima. Nous avons été patients dans la gestion de ce dossier. Durant trois mois, nous avons attendu en espérant qu’un consensus entre les huit confessions religieuses se dessine, mais les religieux n’y sont pas arrivés. Alors, on a avancé. Ils ne peuvent pas tout bloquer, ils n’ont pas de droit de veto.

Confier le choix du président de la Ceni aux religieux, n’est-ce pas leur donner trop de pouvoir ?

La loi l’a décidé, en vertu de leur sérieux, leur compétence… C’est ainsi.

Faudrait-il revoir le mode de désignation du président de la Ceni ?

Certainement. On sera obligé de revoir les choses à l’avenir.

En fin de semaine dernière, vous avez participé à deux rencontres pour tenter d’apaiser la situation. Que s’est-il dit ?

Nous nous sommes en effet déplacés à quatre [avec Modeste Bahati Lukwebo, son homologue au Sénat ; Sama Lukonde Kyenge, le Premier ministre ; et François Beya, le conseiller spécial de Félix Tshisekedi] chez le cardinal Ambongo. Il est notre icône. Nous devons le respecter quel que soit le problème. Nous avons organisé ces rencontres pour lui demander, ainsi qu’à l’ensemble des évêques, de bien vouloir tourner la page et de regarder vers l’avenir.

Ce n’est pas Denis Kadima qui va faire le vote en 2023

Ont-ils accepté ?

Oui. Nous allons continuer à travailler ensemble, notamment sur la loi électorale. Ce n’est pas Denis Kadima qui va faire le vote en 2023 : il n’a qu’une seule voix alors qu’il y a des dizaines de millions de votants. Tous ensemble, nous allons examiner la loi électorale et mettre en place des critères pour que le résultat qui sorte des urnes soit accepté de tous.

Selon nos informations, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) demande le poste de secrétaire exécutif de la Ceni. Êtes-vous prêt à leur accorder ?

Je n’en ai pas connaissance.

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Vous êtes arrivé à votre poste sans que l’on ne s’y attende et vous êtes aujourd’hui le doyen de l’Assemblée. À 80 ans, ce mandat est-il votre dernière bataille politique ?

Oui, je préfère finir ma carrière fier et laisser ensuite aux jeunes générations l’avenir de ce pays. C’est cela le devoir de l’aîné : communiquer aux jeunes tous les secrets pour qu’ils aillent de l’avant et prennent la relève.