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Est-il temps de lâcher prise ?

À Québec, Rambo et sa bande ont commencé leur petit carnaval. Plus modeste qu’à Ottawa, il faut le dire, mais les revendications sont les mêmes. À coups de klaxon, ils réclament le retour à la « vie d’avant ».

Publié le 5 février

Ils exigent la fin de la pandémie.

J’espère que les malades de la COVID-19, au CHUL, entendront leur message et rentreront enfin chez eux. Vous êtes pas écœurés de mourir, bande de caves ? J’espère qu’Omicron s’enfuira sans demander son reste, terrifié par le grondement de la révolte libertaire.

J’espère, mais j’ai comme un doute…

J’ai l’air de me moquer (OK, pas juste l’air), mais j’admets volontiers ceci : ces manifestants sont l’expression, poussée à l’extrême, de la fatigue pandémique que tout le monde ressent. Nous voulons tous revenir à la normale. Nous avons tous, plus ou moins enfoui en nous, un Rambo révolté.

Bien sûr, on ne mettra pas fin à la pandémie à coups de klaxon. Mais ces manifestants ne détiennent pas le monopole du ras-le-bol. Même qu’ils ont raison sur une chose : on ne pourra pas continuer comme ça éternellement.

Reste à s’entendre sur le moment où on pourra revenir à cette fameuse vie d’avant – ou, du moins, à ce qui s’en rapprochera.

Omicron a changé la donne. Il est moins virulent, mais beaucoup plus contagieux que les variants précédents. Résultat : nos amis, nos collègues, nos proches ont été infectés. On se dit qu’on va bien finir par l’être, nous aussi. Et que ce ne sera probablement pas si grave : pour les triplement vaccinés, Omicron pose moins de risques que la grippe.

D’où une question, qui se pose avec de plus en plus d’insistance, et pas seulement dans les rues d’Ottawa et de Québec : est-il temps de lâcher prise ?

Cette semaine, le Danemark a répondu oui. Copenhague, qui considère désormais Omicron comme une « menace sanitaire limitée », a levé toutes ses restrictions. D’autres sont tentés de l’imiter, bien que l’Organisation mondiale de la santé les mette en garde contre le chant des sirènes.

Il ne faut pas crier victoire trop vite, prévient le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. La pandémie n’est pas terminée. Le sous-variant d’Omicron, BA.2, encore plus contagieux, pourrait relancer la vague.

Au Québec, le directeur national de santé publique, Luc Boileau, se montre tout aussi circonspect : la progression de la pandémie, dit-il, se trouve à un « moment charnière ».

N’empêche. La pandémie semble sur le point d’entrer dans une nouvelle phase. Dans une entrevue au New York Times, Anthony Fauci, conseiller en chef du président, fait preuve d’un optimisme prudent.

Écoutez l’entrevue avec le Dr Anthony Fauci (en anglais)

Oui, ce virus est imprévisible. Non, nous ne sommes pas à l’abri d’un variant qui résisterait aux vaccins. Mais après deux ans de crise, on arrive (peut-être) à un tournant.

Quelque chose qui ressemblerait à un virus toujours mortel mais, disons, plus tolérable. Un virus endémique ou, à tout le moins, plus prévisible : nous pourrions le voir venir et l’affronter sans craindre de voir s’écrouler nos hôpitaux. Sans avoir à mettre nos vies sur pause.

Quelque chose, au fond, qui ressemblerait à tous ces autres virus avec lesquels nous avons dû apprendre à vivre.

Est-il temps de lâcher prise ?

On n’y est pas encore.

On ne sait même pas si on y sera, un jour.

Tout ce qu’on peut affirmer avec assurance, c’est que le SARS-CoV-2 est là pour de bon. On ne reviendra pas aux jours insouciants de 2019. Désormais, ce virus fera partie de nos vies, sous une forme ou sous une autre.

Depuis deux ans, les mesures sanitaires ont sauvé des milliers de vies au Québec. Mais elles ont aussi coûté très cher. Aux aînés tenus en isolement. Aux enfants privés d’école. Aux artistes en chômage forcé. À tout le monde.

Aujourd’hui, le Québec figure parmi les provinces où ces mesures sont les plus strictes au Canada, qui figure lui-même parmi les pays les plus sévères, nous apprend ma collègue Suzanne Colpron dans un reportage éclairant.

François Legault a souvent évoqué le difficile équilibre à trouver entre les privations de libertés et la protection de la santé publique.

Serions-nous arrivés au point où la balance penche trop du côté des privations ? Traumatisés par l’hécatombe dans les CHSLD, nos leaders pécheraient-ils par excès de prudence ?

Certains partis de l’opposition commencent à le laisser entendre. « Les gens ne vont pas bien, a dit cette semaine le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon. On sent de plus en plus dans la population un décrochage, une fatigue qui est légitime, parce que les Québécois ont tout fait ce qu’il fallait, mais demeurent parmi les confinés, et il n’y a même pas d’explications. »

Tout cela est vrai, sauf pour l’absence d’explications.

Il y en a quelques-unes, assez évidentes. D’abord, notre système de santé est branché sur le respirateur artificiel. Si on bouge trop, il va manquer d’air. C’est déplorable, mais c’est la réalité dans laquelle on vit.

Mais surtout, cette pandémie tue encore. Massivement. Mercredi, 50 morts. Jeudi, 42 morts. Vendredi, 42 morts. On l’oublie peut-être. Ou alors, on s’habitue. Reste qu’en deux mois, la vague Omicron a emporté 1700 Québécois.

C’est ça, la principale explication des restrictions sanitaires.

La pandémie, on est encore en plein dedans.

Il y a une part d’électoralisme dans la main tendue de François Legault aux non-vaccinés. Dans cette empathie soudaine envers des gens qu’il traitait, il n’y a pas si longtemps, de dangereux irresponsables.

À moins d’un an des élections, le premier ministre craint sans doute de perdre des appuis au profit d’Éric Duhaime, qui ne se gêne pas pour exploiter la fatigue pandémique.

Mais sur le fond des choses, François Legault a raison de dire que la division ne facilite pas notre sortie de crise. À force de s’entredéchirer, on perd de vue l’ennemi commun : le virus.

C’est lui qui a fait des milliers de morts.

C’est lui qui domine, qui écrase nos vies depuis deux ans.

C’est lui qu’il faut combattre.

Contrairement à ce que semblent croire Rambo et ses sympathisants, on ne fera pas disparaître ce virus en faisant comme s’il n’existait plus. Il est là. Il fait des ravages. Et il peut encore rebondir.

On n’a pas le choix de tenir bon. Mais on peut s’encourager en se disant que mieux on tiendra, meilleures seront nos chances de retourner rapidement à une vie (plus) normale.