Véritable tradition saisonnière depuis 2005, Revue et corrigée n’avait pas pu être présentée l’an dernier, confinement oblige. L’équipe créative se préparait pourtant à livrer une version plus dépouillée de la rétrospective annuelle au Théâtre du Rideau vert, jusqu’à ce que tombe la refermeture des salles en septembre.
Mais rire de 2020 aurait été vraiment plus difficile, estime Luc Michaud, qui collabore à l’équipe d’auteurs pour la dixième édition, mais qui agit cette année pour la première fois à titre de script-éditeur. « Si on l’avait fait, ça aurait été plus une façon de dire : “On tient bon, le théâtre est toujours là et on va traverser ça ensemble”. Cette année, on avait ce désir, mais 2021, c’est plus positif. Au moins, on peut avoir un show plus varié au niveau des sujets. »
En effet, en plus de la difficulté à faire de l’humour à partir d’une tragédie, une année où un événement domine tant l’actualité qu’il éclipse tout le reste complique la tâche des scripteurs.
L’année en cours, elle, a été fertile en élections et a vu le retour des activités culturelles. « C’est le meilleur des deux mondes, si on peut dire, pour écrire une revue : c’est une année extrêmement marquante et il y a quand même des [enjeux] à traiter qui ne sont pas en lien avec la pandémie. 2021, je pense que c’est comme la recette parfaite. »
Cette édition de retrouvailles abordera certes le virus, mais en essayant de doser : les gens sont tannés d’en entendre parler. « Il faut s’assurer qu’on n’ait pas l’impression de regarder un show juste sur la pandémie. C’était vraiment notre défi. »
Reste qu’avec ce persistant coronavirus qui s’accroche, on a la sensation que 2020 et 2021 sont liées en « paquet de deux », ironise Luc Michaud. « Ce sont comme des frères jumeaux, des années qui se ressemblent. Mais il faut sentir la continuité entre les deux, et non une impression de déjà-vu. Il y a beaucoup d’éléments qui étaient sur 2020 qu’on a tassés avec le temps. Parce que c’est ce qui sentait le plus le réchauffé. »
Bref, oubliez les blagues de Zoom, de PCU, déjà entendues à satiété. 2021 Revue et corrigée s’intéresse davantage aux conséquences de la pandémie, aux façons de vivre avec. « On aborde des sujets qui parlent aux gens aussi, telle l’augmentation des prix dans les épiceries. On voit davantage des personnages de “monsieur et madame Tout-le-Monde” dans le show. Il y en a toujours eu. Mais on dirait que cette année, on avait une facilité à aller là. Parce qu’on avait envie de parler de ce que les gens ont vécu comme situations avec la pandémie. »
Le spectacle compte aussi bien sûr un fort contenu politique. Luc Michaud se réjouit d’ailleurs du changement de garde chez les politiciens : « Il y a de nouveaux ministres qui ont pris l’avant-plan, et ç’a fait du bien. C’était toujours les mêmes à une certaine époque. Et pour les auteurs, le statu quo, c’est plus compliqué au fil du temps. »
Sujets délicats
Le contexte aura beaucoup évolué en 2021, du couvre-feu hivernal à la situation actuelle qui se rapproche d’un retour à la normale. Quelle période couvre-t-on ? « C’est un phénomène qui revient pas mal chaque année : de tout ce qui se passe jusqu’en juillet-août, pas grand-chose ne reste dans le show. Pandémie ou pas. Mais c’était encore pire. Plus que jamais, le spectacle est davantage concentré sur ce qui se passe depuis septembre. » Histoire de ne pas avoir l’air déphasé. « On veut quand même traiter de l’année [au complet]. Parfois, notre truc, c’est d’ajouter des éléments des six premiers mois dans des histoires plus récentes. »
Généralement, environ un sketch sur trois est conservé au bout du compte, un choix décidé de pair avec la metteuse en scène Natalie Lecompte. Et certains thèmes d’actualité sont incontournables.
Si les auteurs n’ont pas eu à se frotter directement à un événement peu propice à la rigolade, comme la tragédie dans les CHSLD (« l’an dernier, on n’aurait pas eu le choix »), il reste des sujets à aborder avec « délicatesse ». L’édition 2021 présente ainsi un numéro sur la situation des Autochtones, racontée par Fred Pellerin (imité par Benoit Paquette « qui est extraordinaire »). « Il est important pour nous d’en parler. Mais on ne peut pas faire un numéro hilarant avec ça. C’est plus une performance, bien écrite, qui porte à la réflexion, mais qui fitte dans le show. »
« Parfois, on dit des choses sans les nommer, parce que ça fait mal d’entendre certains mots, reprend le script-éditeur. Mais on en parle quand même. » Si le terme «féminicide» n’y est jamais prononcé, la rétrospective fait allusion à ce phénomène à travers un tableau sur la masculinité toxique. « Je ne suis pas sûr qu’on aurait fait ce numéro il y a 10 ans. Je pense qu’on a évolué en tant que société. » Luc Michaud cite pour exemple les blagues « de gros » ou de LGBT qui avaient cours dans le passé. « Je crois que la nouvelle génération d’auteurs n’est vraiment plus là. Et pour moi, ce n’est pas qu’on n’a plus le droit de rien dire. C’est qu’on dit d’autre chose. Et des affaires bien plus pertinentes. » Tout en ayant le souci d’être drôle.
Polarisants
Entre autres sujets obligés, il y a le phénomène des antivaccins et la désinformation. « Mais il faut quand même en prendre et en laisser des deux côtés. Et on respecte les gens. » La revue égratigne « un peu tout le monde », comme le recul du ministre Christian Dubé devant le personnel de la santé, tandis qu’Éric Duhaime ou Maxime Bernier en prennent pour leur rhume.
Pour aborder ces thèmes polarisants, l’équipe veille à « ne pas être trop frontale. Je pense que la clé, quand on écrit, c’est de ne pas détester son sujet. Je m’assurais toujours que l’auteur d’un texte allait avoir une réflexion sur le phénomène, pas juste taper pour taper sur quelqu’un. Et on joue devant des spectateurs doublement vaccinés. On peut se permettre de faire des gags là-dessus. » De toute façon, ce sont les extrêmes, des deux côtés, qui sont intéressants pour les auteurs, parce qu’« en deux ou trois minutes, on essaie de créer un univers ».
Le script-éditeur a par contre retiré des gags sur la comédienne Anne Casabonne. « C’était trop sur une personne. On veut susciter des réactions, mais pas que les gens se braquent. On ne veut pas choquer pour choquer. On s’assure que ce qui est sur scène, on l’assume à 100 %. » Même si la victime de la farce se trouvait dans la salle.
Après l’annulation forcée de l’édition précédente, l’équipe de 2021 Revue et corrigée est gonflée à bloc, à en croire Luc Michaud. La fonction rassembleuse du spectacle se veut encore plus forte. « Même à l’interne, on avait un grand plaisir de se revoir et on voulait absolument que ça se ressente. Qu’on ressente aussi notre plaisir à retrouver les spectateurs. Et on avait le désir cette année de pas juste être “tannants”, d’être plus tendres. On s’est permis des choses que peut-être on ne se serait pas permises avant. » Les habitués devraient tout de même y reconnaître leur revue comique, avec ses parodies et ses imitations de figures artistiques.
Après ces mois éprouvants, faire rire n’est pas anodin. « J’ai l’impression que c’est un show qui va vraiment faire du bien aux gens. Ils vont pouvoir se défouler. Et ça va faire du bien aussi de tourner la page sur cette année — c’est le cas à chaque édition, je crois. Mais là, on dirait que c’est un chapitre de deux ans qu’on ferme. »
Textes : Caroline Allard, Nicolas Forget, Simon Laroche, Luc Michaud, Dominic Quarré, Annie-ClaudeSt-Pierre. Script-édition : Luc Michaud. Mise en scène : Natalie Lecompte. Avec Véronique Claveau, Tommy Joubert, Joëlle Lanctôt,Benoit Paquette et Marc St-Martin.Au Théâtre du Rideau vert,du 23 novembre au 23 décembre.