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Rétrovision : le grand retour de la décoratrice Madeleine Castaing

En 2021, à l’heure de l’engouement pour l’épure en rose dragée du design scandinave, des tissus, de la moquette et des papiers peints issus de l’univers très XIXème siècle de Madeleine Castaing sortent chez Edmond Petit et Codimat Collection. Une collection de peintures fidèles à son nuancier de couleurs entre aussi dans le catalogue de la maison Meriguet-Carrière.

Une référence jadis confidentielle

Il y a trente ans pourtant, qui prononçait le nom de Madeleine Castaing (1894-1992) passait illico pour un érudit de la décoration, perçu peut-être même comme un brin snob. A l’époque, même Charlotte Perriand, (1903-1999), aujourd’hui starisée, était, elle aussi une référence confidentielle. Mais liée à l’univers de l’architecture du Corbusier, Perriand avait plus de fans que Castaing. Il s’agit de ces années d’avant son grand retour, notamment via les rééditions de l’éditeur italien Cassina.

Dans les magazines grand public des années quatre-vingt-dix, la décoration était reine, au point d’éclipser le design et l’architecture, popularisé vers 2000. Mais Madeleine Castaing n’avait pas encore toute attention d’un plus grand public.

Aujourd’hui encore, si on ne fréquentait pas sa boutique-salon culte à l’angle des rue Jacob et Bonaparte, il faut rappeler qui elle était : une femme du monde hors normes, la star de la décoration dès l’après-guerre et la décoratrice de la maison de Jean Cocteau à Milly-La-Forêt ou des demeures de leur ami commune, Francine Weisweiller. Castaing, mécène avec son mari Marcellin du peintre Chaim Soutine est l’amie proche d’écrivaines, comme Louise de Vilmorin ou Violette Leduc qui écriront sur elle. Au sortir du premier conflit mondial, l’excentrique fréquente les grands artistes du Montparnasse de la Rotonde.

L’affranchie du classicisme

Sa propriété de Lèves, en sortie de Chartres, constitue son premier chantier. Elle plante des allées d’arbres devant les fenêtres ce qui a pour effet f-dans les reflets des vitres de donner une impression de perspective infinie. A Paris, dès les années trente, elle chine sans relâche les antiquités, d’abord pour se meubler. Son stock impressionnant se répartira ensuite toute sa carrière dans différents entrepôts.

Rétrovision : le grand retour de la décoratrice Madeleine Castaing

Ce qui étonne dans l’actuel revival Castaing, c’est que son univers mixe des styles tels que celui du Directoire, de l’Empire ou de Napoléon III avec du Biedermeier allemand ou du Regency anglais. Elle chine aussi bien le mobilier en acajou qu’en bambou. Sa couleur fétiche, c’est le bleu, qu’elle marie volontiers avec du vert sans peur que cela fasse aquarium. Et au sol, ou recouvrant un canapé, Madeleine Castaing aime user d’impressions panthère.

Cette bourgeoise affranchie du classicisme reste cependant insensible à l’art déco ou au modernisme. Elle n’écoute que son goût et la façon dont Elle, voit l’esprit des lieux dans lesquels ses clients devraient vivre. En 1940, les restrictions de la guerre menaçant son mode de vie aussi aisé qu’oisif, Madeleine Castaing, 46 ans, commence à travailler.

Elle ouvre un stand au marché Jules Vallès puis tient boutique rue du Cherche-Midi. Pas de bric-à-brac façon pucier dans son lieu mais plutôt la réalité d’un intérieur, du genre manoir dans le Sussex avec feu de cheminée. En période de disette esthétique, ses vitrines ravitaillés par ses propres stocks enchantent les passants.

Près de soixante-dix ans avant le styliste Dirk Bikkembergs qui avait aménagé ses vitrines milanaises en appartement ou vivait au su et au vu des passants un footballer, Madeleine Castaing fait plus fort. Elle s’endort un jour dans sa vitrine de sorte que les badauds purent le lendemain assister à son réveil. Au-delà des conventions, elle adore les gens spéciaux comme son ami le compositeur Erik Satie. Proche amie du peintre Christian Bérard, elle lui doit le défilé d’arbitres du goût qui suivirent le sien en prenant le chemin de sa boutique.

Le bon goût en horreur

Ce qui peut inspirer aujourd’hui, c’est sa façon de faire converser les objets entre eux. Ce qui exclut toutes règles au préalable. Elle aime tellement le mobilier anglais ou russe du XIXème siècle qu’elle en emmagasine des camions entiers. Les gens la suivent en commandant des reproductions aux artisans du faubourg Saint Antoine.

Dès les années cinquante, son style néo XIXème réarrangé s’appuie sur des dissonances assorties de couleurs et de matériaux. Comme Madeleine Castaing édite ses propres tissus et tapis par la maison Hanot, elle séduit les décorateurs américains qui la rendent célèbre Outre-Atlantique. Moquette lierre ou fauteuil léopard en emblème, elle est la première décoratrice française célèbre aux États-Unis.

Castaing cultive une sainte horreur du bon goût. Pour elle, il n’y a pas de décoration sans le vécu des trésors sortis de ces heures de chine. Elle ne veut rien d’aseptisé. Après-guerre, on vient la voir pour son goût mais aussi pour sa signature. Son aura mondaine attire mais les gens dont elle habille les murs à leur image de la façon la plus poétique possible ne comprenne pas toujours que dans son monde stylisé, elle s’adresse en grande partie à elle-même.

En matière de style, faire ce qu’on veut, cela lui parle au point de se tailler des robes en tissu d’ameublement et de poser fièrement dedans. Elle n’hésite pas à faire greffer des manches de robe Pierre Cardin en vinyle constellé de petits miroirs sur une robe Saint Laurent. Au fond, elle aura été en avance sur pas mal de choses. En veste Chanel, leggings de danseuse et œil maquillé comme dans les seventies, elle sera la première à garder dans un salon ce petit meuble en bambou parce qu’elle l’aime même un peu branlant.

Plus fort, elle se permettra la tapisserie effrangée, « à bord franc » comme disent les gens de mode aussi bien que les motifs panthère ou les imprimés banane. Pas de panique non plus devant un mur de laine de verre laissé nu, pas complètement destroy puisque bordé d’un trait noir de ruban de gros grain. Son truc, ce sont aussi les rideaux sans ourlet qui traine un peu par terre.

Son dernier biographe, Jean-Noël Liaut la lie aux excentriques anglais comme Cecil Beaton ou Oliver Messel. Leur équivalent français nous rapporte-t-il adorait le Napoléon III en carton bouilli incrusté de nacre. Si un tel profil inspire aujourd’hui, c’est peut-être tout simplement par une simple lassitude de l’épure. Comme si Madeleine Castaing disait « Vivre et laisser dire. »