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Hydrogène, hydroélectricité et ammoniac : une union prometteuse de la transition écologique…

L’hydrogène tient une grande place dans le récit collectif de la transition énergétique, sans doute à juste titre. Pour que ce choix ait un sens, il est indispensable que l’hydrogène soit réellement décarboné, c’est-à-dire qu’il ne soit plus produit à partir de méthane fossile (à moins de capter et stocker le CO2émis dans le cas du vaporeformage mais le CCS n’est pas encore totalement une réalité industrielle).

La production d’hydrogène sans émission de gaz à effet de serre se fait essentiellement par électrolyse de l’eau réalisée avec de l’électricité également produite sans émission de gaz à effet de serre (ENR et nucléaire). La tentation d’utiliser les excès temporaires et fortuits des énergies renouvelables intermittentes (éolien et photovoltaïque) conduit à un une sous-charge des électrolyseurs et donc à un renchérissement des coûts... Même en anticipant la baisse des coûts des électrolyseurs, les industriels qui souhaitent produire de l’hydrogène «vert» à un prix compétitif cherchent à faire fonctionner leurs électrolyseurs le plus longtemps possible, c’est à dire avec un taux de charge élevé.

Le rapport «Rôle de l’hydrogène dans une économie décarbonée» de l’Académie des technologies(1)indique, qu’à l’optimum, le coût de l’hydrogène «décarboné» est ainsi dû pour 25% à l’amortissement de l’électrolyseur et pour 75% au coût de l’électricité. Dès lors, il faut produire l’hydrogène massivement là ou l’électricité décarbonée est abondante et peu chère.

Où trouver de l’électricité produite sans émission de gaz à effet de serre, abondante et pas chère?

La ressource énergétique la plus souvent citée est l’énergie solaire: le coût des panneaux solaires a beaucoup baissé, et des grands parcs solaires existent (désert d’Atacama, zone saharienne). Les facteurs de chargede ces installations peuvent atteindre des valeurs de plus de 30%, cependant les charges d’entretien sont loin d’être négligeables (vent de sable). Les centrales solaires thermodynamiques produisant de l’électricité ne semblent pas compétitives malgré leur coefficient de charge plus élevé.

L’éolien est une ressource qui est intéressante dans certains sites particulièrement favorables, c’est-à-dire où la vitesse du vent est élevée et régulière. L’augmentation de la dimension des éoliennes, les progrès significatifs dans la conception des pales, des machines tournantes et de l’électronique ont permis d’augmenter les coefficients de charge. Au Maroc, le facteur de charge atteint 45% dans les alizées au sud (Tarfaya) et au Nord (Gibraltar), c’est-à-dire autant que l’éolien offshore des Shetlands et à un coût bien moindre. En Chine, en Mongolie, il y a des sites ou le vent souffle 5 000 à 6 000 heures par an (plus de 60% de taux de charge). Le coût de la production du MWh peut être de l’ordre de 15 à 20 €.

Il existe des possibilités en Europe, principalement dans les zones riches en éolien offshore qui assurent un taux de charge de près de 50%, éventuellement en association à de l’électricité nucléaire pour assurer un taux de charge satisfaisant, ou dans le sud de l’Europe en particulier en Espagne avec de l’énergie solaire photovoltaïque (associée à des stations de turbinage pompage ou du thermodynamique avec stockage de chaleur à 400°C ou avec la production éolienne du détroit de Gibraltar dans le but d’atteindre des taux de charge élevés). Dans tous ces cas, le coût du MWh est largement supérieur aux 15 à 20 €/MWh cités précédemment.

Un projet majeur au Congo permis par l’hydroélectricité

Parmi les énergies renouvelables, on oublie souvent la grande hydroélectricité. Or il existe des fleuves dans le monde dont le débit est très régulier. C’est le cas du fleuve Congo dont le bassin versant est immense, dans deux hémisphères et soumis à des climats variés qui répartissent les pluies sur le bassin versant et les débits des affluents, par un effet de foisonnement. La République du Congo a accepté la proposition d’un grand groupe minier australien, Fortescue Futures Industries(2), d’installer sur le fleuve Congo un ensemble de centrales hydroélectriques, une usine de production d’hydrogène et une usine de fabrication et de liquéfaction d’ammoniac (NH3) pour en permettre le transport. C’est en effet l’ammoniac liquéfié qui peut résoudre le problème du transport planétaire de l’hydrogène.

Le projet prévoit d’installer une puissance électrique de 40 GW, c’est-à-dire 1,7 fois la puissance installée du célèbre barrage des Trois Gorges en Chine sur le Yang Tse Kiang. L’investissement total envisagé est de 85 milliards de dollars dont environ la moitié pour produire de l’hydroélectricité et l’autre moitié pour la production d’hydrogène «vert», sa transformation en ammoniac et la construction du port de chargement.

Hydrogène, hydroélectricité et ammoniac : une union prometteuse de la transition écologique…

Le cout actualisé de l’électricité serait d’environ 11 €/MWh, avec un coefficient de charge de quasiment 100% modulable…

Les études sur ce site ont commencé dans les années 1960 mais trouvent un nouveau sens industriel aujourd’hui dans ce projet Fortescue. Les études préalables de cet aménagement hydroélectrique sont confiées à deux entreprises d'ingénierie françaises de grand renom (Tractebel Coyne et Bellier et Artelia) dans ce domaine. Elles sont confidentielles. Le cout actualisé de l’électricité serait d’environ 11 €/MWh, avec un coefficient de charge de quasiment 100% modulable en fonction des besoins industriels du système de production.

Une des tâches les plus difficiles est de «couper» le fleuve Congo dont le débit varie de 30000 m3/s à plus de 50000 m3/s (rappelons que le débit moyen du Rhône est de 1 820 m3/s et celui de la Seine de 500 m3/s). L’autre défi est de réaliser ces ouvrages rapidement. L’objectif est d’avoir réalisé et mis en service une capacité de 500 MW après seulement 4 ans, grâce à un barrage et une usine hydroélectrique qui n’ont pratiquement pas d’impact environnemental (car cette première usine ne génère pas la création d’un lac de retenue). Au cours de cette première phase, la construction de l’ensemble de la chaîne industrielle sera réalisée (incluant les électrolyseurs pour la production d’hydrogène vert, la production d’ammoniac vert et sa liquéfaction, les installations de transport et les installations portuaires). En parallèle, la construction des usines hydroélectriques du «Grand Inga» pourront commencer tandis que les impacts sociaux et environnementaux du lac de retenue seront approfondis et que les mesures compensatoires nécessaires auront été déterminées.

Le barrage et les usines hydroélectriques seront distants d’environ 150 kilomètres de la côte et de la zone portuaire envisagée. L’électricité produite par plusieurs usines hydroélectriques situées à proximité du barrage sera transportée par des lignes à très haute tension jusqu’aux électrolyseurs qui produiront l’hydrogène vert et qui seront placés à quelques dizaines de kilomètres des usines hydroélectriques. L’hydrogène vert sera transporté par gazoduc sous forme gazeuse à haute pression, jusqu’à l’usine de fabrication et de liquéfaction de l’ammoniac. L’ammoniac liquide sera chargé dans un port à construire sur des navires spécialisés et déjà largement fonctionnels pour toute destination sur la planète.

Quelle utilisation du NH3ainsi produit?

Le transport maritime de l’hydrogène est en pratique très difficile, sous quelque forme que ce soit: gazeux, il faut le comprimer dans des réservoirs d’acier ou il faut dépenser beaucoup d’énergie pour le liquéfier à - 250 °C et le maintenir dans cet état liquide pendant plusieurs jours.

La transformation de l’hydrogène en ammoniac semble une voie prometteuse avec deux débouchés remarquables :

Actuellement, l’ammoniac est produit à partir de méthane fossile (pour fabriquer l’hydrogène) et de l’azote de l’air. Sa fabrication émet donc des gaz à effet de serre. La production d’ammoniac à partir d’hydrogène décarboné permet par conséquent de décarboner l’industrie de l’ammoniac. Néanmoins, il convient aussi de produire par ailleurs de l’azote par distillation fractionnée de l’air avec une énergie décarbonée et de fabriquer le NH3avec un bilan en énergie et un bilan économique acceptables(4).

L’ammoniac est facilement liquéfiable et transportable sous forme liquide (à une température de - 33,4°C sous pression atmosphérique). Cependant, c’est une molécule qui n’est pas facile à utiliser industriellement à cause de ses caractéristiques toxiques et corrosives. Le choix de l’usage de l’ammoniac doit encore faire l’objet d’études technicoéconomiques.

Le projet développé par Fortescue trouve son sens dans cette démarche globale de décarbonation de l’énergie en s’appuyant sur l’énergie verte la plus efficace qui soit: l’hydroélectricité. Il existe dans le monde d’autres sites hydroélectriques qui offrent des possibilités de production massive d’hydrogène vert à des prix très compétitifs.

L’histoire de l’aluminium nous instruit: l’aluminium aussi est fabriqué par électrolyse (de l’alumine). Depuis longtemps, les aluminiers ont utilisé abondamment l’hydroélectricité pour disposer d’électricité à très bas coût avec un taux de charge très élevé pour faire fonctionner les électrolyseurs en permanence(5).

Cette possibilité de transport permet la production d’hydrogène vert à un coût minimum, puis d’en faire un vecteur d’énergie verte sous forme d’ammoniac liquide. Il est possible d’utiliser directement l’ammoniac ou de repasser de l’ammoniac à l’hydrogène par craquage de l’ammoniac avec un apport thermique significatif qui peut être amélioré par amélioration des catalyseurs. Ainsi, l’hydrogène vert et l’ammoniac vert peuvent devenir des vecteurs d’énergie soumis aux lois du marché(6), disponibles en tout point de la planète comme le pétrole et le gaz. Cette possibilité de marché mondial serait une bonne nouvelle pour assurer la souveraineté énergétique de chaque pays en lui permettant des importations d’énergie sur un marché assez vaste pour éviter autant que possible les excès de pouvoir de certains producteurs.