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École : comment les récrés se recréent

Les cours de récréation amorcent-elles leur mutation ? Depuis plusieurs mois, ce carré d’asphalte qui semblait immuable attire (enfin ?) les regards. Des municipalités comme Bordeaux, Lyon, Lille, Paris, Grenoble ou Rennes communiquent sur leur volonté de proposer aux écoliers des cours plus vertes, plus mixtes et moins « genrées ». « C’est surtout le regard des adultes qui change sur ce sujet », observe Julie Delalande, anthropologue qui étudie depuis vingt ans cet espace jusqu’ici passablement ignoré.

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La chercheuse lie ce regain d’attention à « deux éléments extérieurs à la vie de la cour elle-même » : le changement climatique, qui révèle l’effet fournaise des espaces goudronnés, et le premier confinement, qui a soudain accru l’intérêt pour les activités en plein air. Et les enfants, là-dedans ? Ils vivent plutôt cet espace quotidien dans la « continuité » avec des jeux, des codes et des règles tacites qui « se transmettent entre pairs, de génération en génération », et constituent ce que Julie Delalande identifie comme une « culture enfantine ». À laquelle, d’après elle, les adultes devraient être davantage attentifs pour l’aider à s’épanouir.

C’est là que, parfois, le bât blesse. La « judiciarisation » de la société et le fantasme du risque zéro ont asséché les récrés. Les billes, les cordes à sauter et même les ballons y sont parfois interdits car jugés dangereux, ou générateurs de conflits. On ne sort pas quand il pleut, parce que ça mouille, ni quand il neige, parce que ça glisse… Et, pour compliquer le tout, les règles varient selon les établissements, les périodes et les interlocuteurs. « Avec la maîtresse, on a le droit de monter aux arbres, mais pas avec les animateurs », remarque ainsi Gabin. « C’est parce qu’ils n’ont pas le même contrat », croit savoir un grand de CM2.

« L’institution s’intéresse bien plus à la réussite scolaire qu’à ce qui se passe dans la cour. »

Julie Delalande, anthropologue

Bon an, mal an, les élèves s’adaptent, comme ils l’ont fait face au protocole sanitaire imposé par la pandémie. Joachim, 7 ans, joue désormais à « Covid » avec ses copains : « Il faut éviter de se faire toucher par le virus, et libérer ceux qui sont à l’hôpital. » Perplexe face aux instructions changeantes sur les jouets autorisés dans son école, Lina relativise : « Ça va, on se débrouille, on fait des jeux sans jouets. Et puis on s’assoit par terre, contre le grillage, et on invente des histoires. Moi, je suis en train d’imaginer un jeu de société. »

N’empêche. Si la créativité des enfants sait pousser hors-sol, elle se nourrit aussi d’éléments matériels, ne serait-ce que de feuilles et de brindilles pour créer un village miniature. La végétalisation d’une cour peut coûter cher, mais certaines initiatives sont plus accessibles : sortir les livres du CDI aux beaux jours, remplacer les ballons par des balles en mousse, autoriser frisbees, cerceaux et jeux de société, accueillir potager ou poulailler… Des projets qui reposent parfois juste sur les épaules de quelques adultes déterminés.

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En principe, tout le monde souhaite que les élèves soient bien dans leur cour, et que chacun y trouve sa place. Mais est-on disposé à laisser les petits creuser et grimper, parce que ça les amuse ? Ou bien les ados à se soustraire aux regards, s’ils en ont besoin ? « Les enseignants et les directions d’établissements sont contraints par des normes très fortes, et confrontés à des parents inquiets, rappelle Julie Delalande. Pourtant le rapport au risque s’apprend, comme le reste ! Mais l’institution s’intéresse bien plus à la réussite scolaire qu’à ce qui se passe dans la cour. »

Elle analyse : « On préfère ne prendre aucun risque, et tant pis pour l’éveil, la pédagogie… Quels sont nos choix institutionnels ? Faut-il choisir la facilité ? L’institution est-elle prête à couvrir les enseignants par rapport au risque, parce que ça peut être bénéfique ? » Dans la mini-société que constitue leur cour, certains établissements osent innover et tâtonner pour tenter d’inventer d’autres récrés. Des initiatives inventives, diverses et éparses, qui gagneraient à essaimer.

Une cour plus ludique

La cour de l’école Notre-Dame-de-la-Croix, près de Vannes, offre un bien curieux spectacle. Sur le rectangle bitumé fermé d’un joli mur en pierres, des enfants se poursuivent juchés sur des poussettes, quand d’autres s’affrontent armés de frites de piscine. Plus loin, dans un coin, une gamine pianote sur un clavier d’ordinateur portable, tandis qu’un groupe réaménage le toboggan avec de vieux rideaux et des cônes de chantier. Émilie Soulabaille traverse cet étrange terrain de jeux l’air parfaitement serein. C’est elle qui, en 2017, a chahuté les récréations de l’école privée de Monterblanc, dans le Morbihan, en découvrant sur Internet le concept des « boîtes à jouer ». Elle est alors depuis trois ans directrice de cette école maternelle et élémentaire, et cherche des idées pour pacifier la récré.

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« Quand j’ai découvert l’association Jouer pour vivre, qui installe dans les écoles des boîtes pleines de jeux, je me suis dit “C’est super, je veux ça !” » Sitôt dit, (presque) sitôt fait. L’enthousiaste directrice partage sa trouvaille avec le réseau d’écoles voisines, et séduit sa collègue de La Vraie-Croix, à quelques kilomètres de là. En 2018, le personnel des deux écoles se forme et bénéficie, de la part de l’association, de conseils adaptés à la configuration et aux besoins de chaque établissement. En 2019, les premières boîtes à jouer arrivent. « On en a vu très rapidement les effets, avec moins d’incidents et d’accidents dans la cour », se souvient Émilie Soulabaille.

Le concept anglais est surtout décliné par l’association Jouer pour vivre dans d’étroites cours parisiennes. Les boîtes à jouer s’y ouvrent telles des coffres à trésors, augmentant l’espace d’un surcroît d’imaginaire. À Notre-Dame-de-la-Croix, ce n’est pas l’espace qui manque. Plus, en tout cas. Jusqu’à l’été 2020, les 260 élèves se partageaient la « cour de devant ». Depuis septembre, l’espace de jeu a gagné 1 500 mètres carrés à l’arrière du bâtiment. Si le nouveau terrain de verdure a réduit promiscuité et bousculades, la nouvelle approche du jeu apporte une touche révolutionnaire.

« On a vu très rapidement les effets, avec moins d’incidents et d’accidents dans la cour. »

Émilie Soulabaille, directrice de l’école maternelle Notre-Dame-de-la-Croix

L’adulte qui se balade dans cette cour hors norme oscille sans cesse entre pics de stress et instants d’émerveillement. On sourit de voir une fillette occupée à la tâche sans fin de balayer le sol terreux, ou un garçon tenter de dompter un déambulateur. On s’inquiète pour ces deux enfants qui jouent à se balancer dans de vieux sièges auto (« Ne vont-ils pas tomber ? Ah non. »).

À Notre-Dame-de-la-Croix, les boîtes à jouer contiennent des objets de récup’, et tout le monde s’est pris au jeu. Des parents et grands-parents ont donné leurs vieilles poêles et casseroles, et fabriqué pour la cour une cuisine en palettes de bois. Cathy, Asem (comprendre « agent spécialisé d’école maternelle ») et « reine de la déchetterie », a dégoté un frigo pour compléter l’équipement. L’employeur d’un papa a donné un tuyau destiné aux réseaux d’eaux sous les routes, devenu pour les enfants un tunnel à explorer.

Avec tout ce matériel sous la main, les élèves inventent sans fin. « Auparavant, il y avait plus de conflits, car plus d’ennui. Là, avec la multitude d’occupations possibles, chacun est à son affaire », constate Vanessa Bouchard, directrice de l’école catholique de La Vraie-Croix.

Ce jour d’été, une bande d’enfants s’active dans la terre, sous un escalier. Armés de bâtons et de cuillères, ils grattent frénétiquement. « À force de creuser, ils ont trouvé des ossements ! », s’exclame un animateur, partagé entre inquiétude et admiration. Dans le récit que construisent les apprentis paléontologues, les os (de chat ? de poulet ?) sont forcément ceux d’un dinosaure, et ils fouillent de plus belle. « Hé les gars, si vous creusez assez, vous allez trouver la mer ! », lance un moqueur assis plus loin. Lui s’applique à tamiser de la terre avec le filtre d’une antique machine à café. « Regarde, touche ! On fabrique une poudre toute douce. »

« Si les enfants sont sales, ça prouve qu’ils ont bien joué ! »

Annie Fréhel, enseignante en CP-CE1

Mais comment s’ennuyer, en effet ? Il faut juste faire avec un énorme nuage de poussière. « La sécurité et la propreté sont des aspects importants du projet, signale Annie Fréhel, enseignante en CP-CE1. Mais si les enfants sont sales, ça prouve qu’ils ont bien joué ! » Après de premières réticences vite balayées, les parents préfèrent, tout réfléchi, que les enfants se salissent dans la terre plutôt que de tourner en rond sur le bitume. Émilie Soulabaille constate que cette approche du jeu « casse la représentation selon laquelle il faut être propre et bien habillé pour l’école. Les enfants viennent ici pour jouer, apprendre et expérimenter ».

Côté expériences, de fait, on n’est pas en reste. Ici, les enfants ont le droit de monter aux arbres, d’escalader les grilles, de dévaler la pelouse à vélo. « On les observe, et on part de leurs besoins pour penser l’aménagement, explique Émilie Soulabaille. Par exemple, on a vu qu’ils avaient envie de grimper sur les barrières. Plutôt que de le leur interdire, on a mis des graviers au sol pour amortir des chutes éventuelles. » La directrice assure que les interdits attirent, et favorisent les prises de risque excessives. Des interdits, il y en a quand même : ne pas faire mal, ne pas sortir de l’établissement… Mais ils sont pesés. « On surveille les élèves en évaluant systématiquement le rapport bénéfice-risque. Si l’adulte ressent une crainte, est-elle fondée ? Faut-il, dans une situation donnée, interdire, aménager, laisser faire ? »

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L’agrandissement de la cour et l’utilisation d’objets de récupération ont transformé la surveillance. Tous les enseignants sont désormais sollicités pour chaque récréation, ce qui a suscité quelques résistances. « Mais l’ambiance de surveillance a changé, assure Émilie Soulabaille. Les élèves sont moins en conflit et plus autonomes, c’est moins fatigant. » L’enseignante Annie Fréhel confirme : « Avant, on passait les récrés à résoudre des conflits. Là, les enfants inventent, détournent les objets… Et en classe, on sent qu’ils ont eu leur quota de liberté et d’exercice physique. »

Aujourd’hui, les jeux décalés de l’école de Monterblanc n’effarouchent plus personne, au contraire. Certaines familles choisissent même cet établissement pour que leurs enfants s’amusent avec des déambulateurs, et grimpent dans les arbres sans entrave. Pourtant, Émilie Soulabaille se souvient n’avoir « pas toujours bien dormi au début. Je me disais : “Mais dans quoi on se lance ?” » Elle a pris le risque.

Une cour plus nature

La cour de la cité scolaire de Nontron, dans le Périgord, a des airs de vacances : des grappes d’adolescents discutent sur des tables de pique-nique sous les arbres, un couple d’amoureux se bécote dans l’herbe, des lycéens jouent au volley au rythme de la musique qui monte d’un téléphone portable… L’établissement Alcide-Dusolier jouit d’un bel espace : deux hectares, dont un d’espaces verts. « Ça n’a pas toujours été vu comme un avantage, remarque Erwan Sellin, professeur de SVT (sciences de la vie et de la Terre). Avant, cette cour était surtout perçue comme un lieu difficile à surveiller. »

Lorsque cet enseignant arrive de région parisienne en 2008, « cette cour ressemblait à un parc vide ». Les élèves dédaignaient la pelouse, massés sur un terrain goudronné propice aux bousculades. Très impliqué pour la promotion de la biodiversité, Erwan Sellin a progressivement investi les vastes espaces verts de l’établissement. Qui est aujourd’hui, avec le projet « Cité de la biodiversité », en pointe sur le respect et l’accueil de la nature.

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Les quelque 800 élèves scolarisés ici côtoient désormais une vingtaine de nichoirs (à passereaux, chouettes ou chauves-souris), des nids à abeilles solitaires, un abri à hérissons, une mare… Une cinquantaine d’élèves sont éco-délégués, très engagés pour la « Cité de la biodiversité », mais tous les collégiens et lycéens ne sont pas également sensibles au sort des perce-oreilles ou des xylophages. Ils apprécient tout de même les rondins de bois pour s’installer à l’ombre, les jolies fleurs, le plaisir de s’asseoir dans l’herbe… « En plus, si on tombe, on se fait moins mal », précise Hadrien.

Tous goûtent une cuisine 100 % maison et bio à la cantine, où les déchets sont triés depuis des années. « Les élèves peuvent rester ici sept ans, observe la proviseure Élise Coulon-Colombeau. Le projet d’établissement crée une acculturation aux enjeux de développement durable, même s’il faut pour certains sortir de leur zone de confort. Sur l’éducation au goût, par exemple. » Les légumes de saison et les meringues aux pois chiches ne font pas l’unanimité mais le chef cuisinier, qui cueille ses aromates au potager de la cour, compte bien proposer bientôt des ateliers de cuisine aux élèves.

« Progressivement, on fait de plus en plus de choses pour la nature »

Théo, élève de première à la cité scolaire de Nontron

École : comment les récrés se recréent

Les éco-délégués, eux, s’en donnent à cœur joie. Dans un local aux allures de caverne d’Ali Baba, ils accèdent à tout un matériel pour creuser, couper, peindre, arroser… Les nichoirs, mangeoires et autres hôtels à insectes sont bricolés « entre amis, pendant les récrés ou les heures libres », détaille Théo, en première. Pour les gros travaux, des « journées éco-citoyennes » invitent les familles à se joindre à l’effort. « On voit alors des parents qui ne viennent jamais aux réunions parents-profs, remarque Erwan Sellin. On travaille ensemble, tous en bleu de travail, ça crée des relations différentes. »

Dans les nombreux coins de verdure de la cité scolaire, des élèves découvrent les sciences participatives (en recensant les papillons, les vers de terre…), la photo de nature, la botanique, la permaculture, la vie qui s’épanouit dans une mare ou une friche… Autant de découvertes qu’ils appliquent ensuite chez eux, ou projettent dans leurs choix d’orientation. « Progressivement, on fait de plus en plus de choses pour la nature, remarque Théo. Ça devient presque un mode de vie. »

Une cour plus mixte

Sous un soleil de plomb dans une cour déserte, Édith Maruéjouls et Célia Ferrer transportent de larges rectangles de bois, les empilent, s’interrogent, et les déplacent à nouveau. Cette occupation mystérieuse s’inscrit dans leur mission destinée à repenser la cour du collège Voltaire à Colomiers, près de Toulouse. Édith Maruéjouls est géographe spécialiste des questions de genre, Célia Ferrer designer sociale et, pour l’heure, elles attendent la récré.

Les collégiens qui sortent de classe sont comme des chats : intrigués par ces nouvelles installations, ils s’en approchent, tournent autour, montent dessus… Les intervenantes n’en perdent pas une miette. « Regarde, les filles s’installent au centre, c’est intéressant… On verra si elles restent jusqu’au bout. » Elles remarquent le petit collégien qui tire une palette à l’écart, à l’ombre d’un bâtiment. « Il crée son petit coin. C’est important que les élèves puissent être seuls s’ils le souhaitent. »

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Ces installations éphémères permettent d’expérimenter des possibilités d’aménagement. « On propose, pour voir comment ils en disposent », commente Édith Maruéjouls. Cette étape intervient après plusieurs échanges avec des élèves du collège qui ont dessiné leur cour, retracé leurs déplacements, imaginé des noms pour les différents espaces, et discuté ensemble d’égalité, de mixité, de droit à la différence…

Initiée par le conseil départemental de la Haute-Garonne, la démarche convainc la nouvelle équipe de direction du collège ainsi que Catherine Cadilhac, conseillère principale d’éducation : « La cour joue sur le climat scolaire, et cette cour est triste », juge-t-elle. Les bagarres, auparavant quotidiennes, ont diminué, mais « la cour ne sert qu’à défouler certains garçons. Les autres stagnent ou marchent ».

« La cour ne sert qu’à défouler certains garçons. Les autres stagnent ou marchent. »

Catherine Cadilhac, conseillère principale d’éducation du collège Voltaire

La question de l’occupation de l’espace par les garçons et de l’omniprésence du foot est récurrente dans les cours de récré. En général, les footballeurs sont au centre, et tous les autres se contentent de la périphérie, en priant pour ne pas se prendre un penalty dans le nez. Le collège Voltaire de Colomiers ne fait pas exception. « Dès qu’on passe, ils nous disent de dégager », soupire Max, petit bonhomme de sixième. « En plus, comme ils n’ont pas de terrain, ils jouent partout ! », s’agace Célian, en troisième. Aucune ligne au sol ne délimite en effet les parties.

L’incontournable football n’est pas un sujet de garçons, mais de quelques garçons. « Et ici, si on ne joue pas au foot, on ne fait rien ! tranche Octave. Alors qu’on pourrait jouer au badminton, à la pétanque… » L’intégration d’un terrain de jeux collectifs fait partie des options imaginées par Édith Maruéjouls. Régulièrement associée à la conception de « cours non genrées », elle préfère parler de « cours égalitaires ». « Je veux imaginer des lieux où l’on apprenne à vivre ensemble, dans la cour de récréation comme ensuite dans l’espace public. Apprendre à partager l’espace entre garçons et filles, petits et grands… »

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La géographe projette pour cette cour une « variété de propositions », avec des « espaces pour se dépenser, et d’autres pour se reposer ». Le jardin, pour le moment verrouillé, pourrait être ouvert et dédié au repos, aux jeux de société… Et puisque le CDI est au rez-de-chaussée, pourquoi ne pas l’ouvrir sur la cour, afin d’y donner une place aux lecteurs et à la culture ? Idem pour les salles de musique, « confidentialisées » alors qu’elles pourraient apporter une autre coloration à la récréation.

Sinclair, très motivé par cette réflexion sur le réaménagement de la cour, regrette de ne pas pouvoir en profiter, puisqu’il s’apprête à entrer au lycée. Mais le petit Max, excentré sur un coin d’herbe sèche avec sa copine Kayla, aura peut-être la chance de réviser son jugement sur sa première année de collège : « On s’ennuie un peu, confie-t-il. En vrai, ça me manque, les cerceaux et les cordes à sauter de l’école primaire. »

Une cour plus fraîche

Les abords de l’école Maryse-Hilsz, dans le 20earrondissement de Paris, n’évoquent pas exactement la fraîcheur. Si le bois de Vincennes n’est pas loin, c’est surtout le boulevard périphérique qui est proche, et l’établissement se trouve enserré entre cette artère vrombissante et les barres d’immeubles qui longent les boulevards des maréchaux. Justement. C’est bien le genre d’endroit qui a besoin d’une oasis, et la mairie de Paris a sélectionné ce groupe scolaire pour qu’il bénéficie du niveau le plus abouti de ses cours Oasis, soutenu par des fonds européens.

L’objectif premier du projet Oasis, lancé en 2017 par la Ville, s’intègre dans la stratégie d’adaptation de la capitale au réchauffement climatique. Les cours de récréation ont été identifiées comme un levier pour lutter contre l’effet d’« îlot de chaleur urbain », qui maintient une température diurne et nocturne élevée dans les villes. « On constate parfois des écarts de dix degrés entre Paris et la banlieue », signale Raphaëlle Thiollier, cheffe de projet cour Oasis.

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Le nouvel espace de l’école élémentaire Maryse-Hilsz offre un parfait comparatif avant/après. La cour Oasis jouxte en effet celle d’un collège qui, elle, n’a pas été rénovée. Côté élémentaire, on se croirait dans un parc, avec des arbres, des chemins de terre, des buttes… Côté collège, ça ressemble à un parking : un vaste carré d’asphalte dont les lignes dessinent des terrains de sport plutôt que des stationnements. Ce sol bitumé qui recouvre tant de cours de récré est particulièrement ciblé par l’équipe Oasis, parce qu’il absorbe la chaleur le jour et la relâche la nuit, aggravant les effets des canicules. Alors que le monde subit des hausses de température dues au changement climatique, cet « effet albédo » affecte les riverains, mais aussi les élèves, maintenant que les épisodes de canicule interviennent dès le mois de juin.

« On ne s’ennuie jamais. »

La mue d’une cour classique en Oasis passe par le changement du sol, éclairci pour stocker moins de chaleur. Le projet compte aussi sur la fraîcheur végétale, par l’ombrage et l’évapotranspiration qui transfère l’humidité des plantes vers l’atmosphère. Un travail est mené sur la récupération des eaux de pluie utilisées pour des fontaines, des brumisateurs, des rivières pédagogiques… « Au début, on s’appuyait surtout sur des solutions techniques, retrace Raphaëlle Thiollier. Mais le sol restait plat et abrasif. » Un voyage d’étude en Belgique, à l’automne 2019, a contribué à faire évoluer le projet vers des cours plus végétales, plus ludiques… « On chemine », résume la cheffe de projet.

Les cours Oasis parisiennes sont toutes différentes, car imaginées en collaboration avec les élèves et les adultes de chaque établissement, puis adaptées aux réalités techniques et budgétaires. Les enfants, dont certains rêvent de piscines et de murs d’escalade, sont parfois un brin déçus. Mais les dernières nées font la part belle au jeu, et celle de l’école Maryse-Hilsz accueille une imposante butte en terre agrémentée d’un pont en bois, d’une tour de guet et d’un large toboggan. En bas s’étale un bac à sable et, à quelques pas, des chemins qui serpentent vers un village de cabanes en osier.

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La cour des grands n’est plus séparée de celle des petits par une grille, comme avant, mais par une petite rivière ponctuée d’écluses. S’ils reconnaissent « jouer avec l’eau » quand il fait chaud, les élèves sont surtout marqués par la dimension ludique de leur nouvelle cour. « Avant, il n’y avait rien. Maintenant, c’est trop bien », résume une fillette affairée dans le sable. « On ne s’ennuie jamais », complète une brune qui émulsionne une soupe à la terre pour son « restaurant ». Il faut dire que les élèves de l’école Maryse-Hilsz bénéficient sans doute aujourd’hui du summum de la cour de récré, puisque celle du collège d’à côté, désertée, leur est temporairement accessible. « Ici, c’est mieux pour se cacher, et là-bas pour jouer au basket », résume la petite cuisinière. Comme quoi, concevoir la cour parfaite, c’est un jeu d’enfant !

Une cour plus apaisée

Au cœur de Saint-Jean-de-Luz, à quelques pas de la plage, le collège Sainte-Marie abrite une cour étroite derrière de hauts murs. 430 élèves de 11 à 16 ans se croisent sur ce rectangle asphalté. Mais certains d’entre eux sont particulièrement chargés de veiller sur les autres. Ils sont élèves médiateurs, missionnés pour repérer les conflits qui éclatent souvent dans la cour, et aider à les résoudre.

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L’idée est venue de l’association de parents d’élèves. Elle a reçu un accueil positif. Des enseignants et des parents se sont formés à la médiation, puis ils ont formé les élèves, selon la démarche de l’association Médiacteurs, lancée en 1993 par les enseignantes Babeth Diaz et Brigitte Liatard.

Le collège Sainte-Marie est allé jusqu’à intégrer la médiation aux emplois du temps. À partir de la cinquième, tous les élèves de cet établissement découvrent le principe puis les techniques de la médiation entre pairs. Et en troisième, les volontaires peuvent devenir médiateurs. « On a plus de candidats que de conflits à régler, et c’est tant mieux ! sourit Maider Landes, animatrice de la pastorale et responsable de la médiation. Mais la formation est enrichissante en elle-même car le sujet, c’est la vie ! », résume-t-elle.

« La formation est enrichissante en elle-même car le sujet, c’est la vie ! »

Maider Landes, animatrice de la pastorale et responsable de la médiation au collège Sainte-Marie

Le parcours, d’abord mêlé à la pastorale, aborde la connaissance de soi, la tolérance, le regard des autres, la différence entre faits et jugements… avant de détailler les principes et techniques de la médiation entre pairs tels qu’ils sont définis par l’association Médiacteurs. Côté principes, la médiation se fonde sur le volontariat, la confidentialité, le non-jugement, l’impartialité. Côté technique, elle se déroule entre élèves, sans adultes, et les médiés (en conflit) exposent chacun leurs ressentis, besoins et propositions de solutions, quand les médiateurs favorisent une rencontre et un dialogue apaisés. Facile ? Pas forcément !

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Les élèves ont beau pratiquer régulièrement des mises en situation à partir de conflits imaginés par Maider, la pratique se révèle parfois complexe. Ana, minois d’oiseau et bagues à tous les doigts, se souvient de sa dernière expérience de médiatrice, en binôme avec Gabrielle : « Deux filles nous ont sollicitées parce que l’une avait tenu des propos racistes. Elles sont venues chacune accompagnée de sa bande de copines. On a galéré ! Il a fallu une heure de discussion pour qu’arrivent des excuses… qui ont été refusées. » Gabrielle complète : « En plus, les parents s’en sont mêlés ! Comme on ne s’en sortait pas, on a fait appel au directeur. Mais le plus souvent, les conflits se règlent entre nous, et en une demi-heure. »

La médiation se déroule entre jeunes, mais des adultes référents restent disponibles pour les conseiller et les relayer. « Et les médiateurs n’interviennent pas dans les sujets lourds, comme le harcèlement, le racket, les scarifications… Ils savent que, dans ces situations, il faut faire directement appel aux adultes », signale encore Maider Landes.

« Je veux aider comme on m’a aidé. »

Matis, médiateur au collège Sainte-Marie

L’œil des médiateurs reste précieux pour repérer, ne serait-ce que dans un premier temps, des malaises qui échappent souvent au regard des encadrants, notamment au collège. En binôme et en rotation sur la semaine, les médiateurs ouvrent grand leurs yeux et oreilles, et arpentent la cour en veillant aux recoins propices aux règlements de comptes ou à l’isolement – « les toilettes, les escaliers, derrière l’ascenseur » … – « On ne force rien, précise Salomé. Mais on propose. » « Il faut savoir accepter de l’aide pour avancer », estime Matis, qui a eu recours à la médiation après une bagarre en classe de quatrième. « Les médiateurs ont fait du bon boulot. C’est ce qui m’a motivé pour devenir médiateur cette année. Je veux aider comme on m’a aidé. »

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Les embrouilles ne manquent pas dans la cour de récré : rumeurs, critiques, jalousies, histoires de cœur, ou simplement un regard de travers. « Parfois, on nous demande une médiation pour presque rien, juste un malentendu », s’étonne Jade. La rencontre n’a pas l’effet magique d’un philtre d’amour. Après une médiation pour des conflits récurrents avec une autre élève, une grande rousse constate qu’elles se disputent encore parfois, « mais avec plus de respect ». Clara, embourbée dans une rivalité avec une autre fille, pèse l’impact de la médiation entre elles : « Elle ne m’aime toujours pas, mais bon… Au moins, elle ne m’embête plus. » « La solution est parfois de prendre un peu de distance dans la relation », glisse Maider.

Le rôle de médiateur transforme ceux qui l’endossent. « J’ai hésité à le devenir, avoue Matis, parce qu’alors je ne pouvais plus me battre. » Finalement, il a opté pour la médiation. Ce sont les élèves eux-mêmes qui se donnent ce devoir d’exemplarité, question de crédibilité. « Depuis que je suis médiatrice, je me dis que je ne peux plus me fâcher pour des broutilles alors que je sais les résoudre », estime Salomé. Ana, elle, se sent « plus mature » : « Quand je me retrouve dans des conflits, j’essaie de discuter, d’appliquer ce que j’ai appris. » La formation à la médiation ne fait pas partie des programmes scolaires. Dommage, car on voit à quel point, selon les mots de Maider Landes, « elle sera utile aux élèves toute leur vie »… tant qu’il y aura des conflits !

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