1. Accueil
  2. canapé
  3. Ma traversée de l’Atlantique à bord d’un cargo

Ma traversée de l’Atlantique à bord d’un cargo

VOYAGE – Pourquoi prendre l’avion quand on peut voyager en cargo ? Grazia a tenté l’expérience et passé 19 jours en mer. Récit.

Avec ses 200 mètres de long et ses 30 mètres de large, sur le papier c’était un géant, mais dans le port du Havre juste derrière le Lapérouse, qui fait près de deux fois sa taille, le Marseille a l’allure d’une petite barque. Et pourtant c’est sur ce « rafiot » que je vais traverser l’Atlantique. J’aurais peut-être dû prendre plus de Mercalm…

Première impression, le silence des lieux. Relatif, car même à quai, un des générateurs tourne et la ventilation du moteur fait un boucan d’enfer. Pour l’instant, pas question d’aller se promener sur le pont avant l’arrivée d’un officier qui va nous guider pour nos premier pas à bord. Le château, la partie « habitable » du cargo est constituée de six étages qui se terminent par la passerelle de pilotage. Il y a les cuisines et la salle à manger, les cabines des équipages – ils sont 23 -, des passagers et plusieurs salles de détente réservées respectivement aux matelots, aux officiers et aux passagers. La déco est insolite : une reproduction d’un peintre impressionniste orne chaque palier et certaines salles communes.

Une confortable cabine de 11 mètres carrés

Des ponts extérieurs accessibles à loisir aux passagers relient tous ces espaces entre eux. Mais pour se rendre sur le pont inférieur, deux règles : enfiler gilet jaune et casque de chantier et prévenir la passerelle de notre escapade. Question de sécurité. La cabine, elle, est spacieuse, environ 11 mètres carrés. Mais sur les plus gros porte-conteneurs, elles peuvent faire plus du double. Le grand luxe. Mais avec son lit double, son petit canapé, son bureau et sa salle de bains, celle-ci est très confortable. Tous les meubles sont vissés au mur ou au sol, en cas de gros temps.

Ma traversée de l’Atlantique à bord d’un cargo

Trois passagers « touristes » sur le cargo

Après quelque 24 heures d’un ballet incessant des conteneurs chargés dans les cales et sur le pont dans un alignement parfait, c’est le départ. Direction Saint-Martin, Trinidad puis la Guyane et le Brésil avant de repartir pour l’Europe, soit une rotation de quarante-deux jours au total. L’étrave du Marseille trace son sillon sur la Manche sur une mer d’huile et atteint l’Atlantique dès le lendemain. Huit jours de mer avec pour seul horizon l’étendue infinie de l’océan. « Vous êtes chanceux, annonce le capitaine aux trois passagers. Aucune tempête n’est annoncée. Seuls des creux de trois mètres sont à craindre. En hiver ils peuvent atteindre sept mètres. » Les mouvements du bateau sont bien perceptibles, mais légers. En revanche, les vibrations du moteur et cette ventilation des moteurs qui souffle sont plus gênants. En tout cas, la peur du mal de mer s’éloigne. Deux autres passagers sont du voyage. Nous prenons nos repas au « mess » (la salle) des officiers et il nous arrive de nous croiser sur les ponts extérieurs. Déjà, la mer, hypnotique, m’absorbe des heures durant. Ce voyage est taillé pour les solitaires. Dans la journée, les couloirs du bateau sont déserts et pas un bruit ne filtre. Seul le son de la guitare d’Oleksandr, le second officier, perce ce silence de temps à autre. A bord, la discrétion est de mise et il faut savoir se faire petit. Les marins, eux, sont invisibles ou presque. Une fois, leur journée de travail terminée vers 17 heures pour ceux qui ne sont pas de quart à la passerelle, ils filent dîner ou se détendre. En cuisine, le chef cuistot et son assistant sont aux petits soins pour les passagers servis comme au restaurant.

A la rencontre de l’équipage ukrainien et philippin

Si les couloirs intérieurs sont immaculés, les ponts extérieurs sont salis par la suie que crache la cheminée du moteur. Le Marseille est avant tout un espace de travail. Rapidement la discussion s’engage. Même s’ils y sont habitués, difficile pour ces marins de comprendre quelle idée a frappé ces drôles de touristes qui embarquent sur des cargos. Si dans la famille du capitaine, Andrii Kuzmichov, on est marin de père en fils, la mer n’est pas la première motivation de ses équipiers. « C’est l’argent, affirme dans un sourire son bras droit, Sergiy Kolomoytsev. En Ukraine, il est très difficile de trouver un travail avec un bon salaire. Je ne voulais être ni businessman, ni gangster, j’ai choisi marin. » Dans la marine aussi, la mondialisation a joué son rôle. Sur ce navire, des équipages de deux nationalités différentes se partagent le travail. Les Ukrainiens s’occupent de la navigation et de la salle des machines tandis que les Philippins sont chargés de l’entretien du navire. La langue parlée à bord, c’est donc l’anglais.

Déconnexion totale et petite routine

A peine nous sommes partis et l’impression d’être loin, déjà. On passe plusieurs fuseaux horaires, pendant six jours, les horloges du bateau sont donc retardées d’une heure. « Ça ne va pas nous aider avec le temps qui s’écoule plus lentement ici », plaisante un des trois passagers touristes, médecin. Le temps semble étiré. Les journées s’organisent autour des repas à 7h30, 12h30 et 18h30, seule contrainte horaire du voyage. Le reste du temps, le médecin-passager s’est lancé dans un programme sportif intensif (musculation, vélo et montée des six étages du château au pas de course). Une véritable bataille contre l’ennui. Un homme en partance pour la Guyane savoure quant à lui de ne plus avoir à répondre à ses mails ou à son téléphone. Et alterne lecture et sieste. Il faut dire que le roulis et les vibrations du moteur sont de solides concurrents aux somnifères. La déconnexion est totale. Quel plaisir de vivre sans montre. Tous les jours, le capitaine nous remet tout de même un bulletin d’informations françaises compilé par l’AFP. Mais c’est notre seul lien avec l’extérieur. Les marins, eux, payent une connexion Internet via satellite pour rester en contact avec leurs proches. Mais la navigation sur le Web est trop coûteuse et l’équipage reste coupé du monde. Le soir, c’est soirée DVD ou karaoké dans le clan philippin. Côté ukrainien, on joue à la Playstation ou on regarde des DVD dans la salle commune. Les autres s’isolent dans leur cabine pour envoyer des messages à leurs épouses ou pour se reposer. Le rythme est usant : les marins travaillent sept jours sur sept pendant quatre mois pour les Ukrainiens, cinq de plus pour les Philippins. Une routine s’installe entre les allers-retours sur les ponts extérieurs et sur la passerelle, les heures de lecture et l’observation attentive des flots. Hypnotisés par le sillage laissé par la turbine ou par le vol des mouettes ou des pélicans à l’approche des côtes et séduits par la lumière changeante, les apparitions de quelques dauphins et d’une ou deux baleines, on découvre les vertus de ce voyage lent. Après plusieurs jours à bord, les ponts extérieurs n’ont plus de secrets pour les passagers.

Des escales… calculées au plus serré

Après neuf jours à bord, une petite pointe d’émotion pointe quand le premier bout de terre apparaît sur l’horizon. C’est Saint-Martin notre première escale. L’Atlantique c’est fini. ça aura passé vite. Pas pour le médecin-passager « qui n’aurait pas passé un jour de plus à bord ». Les escales sont calculées au plus serré, pour réduire au maximum le temps passé à quai. Moins de 24 heures en général. A Saint-Martin, cette fois ce sera une nuit au grand dam de l’équipage qui aurait apprécié se baigner dans les eaux turquoise de Philpsburg. Puis 24 heures à peine à Trinidad. Et enfin quatre jours à Dégrad des Cannes, à coté de Cayenne. L’entrée au port guyanais constitue le moment le plus tendu du trajet. Sur la passerelle, le silence règne dans la nuit noire. Un bateau vient de déposer le pilote du port à bord et le Marseille s’engage sur le chenal de la rivière Mahury. A cause des faibles profondeurs de l’eau, il faut arriver avec la marée haute. Les chenal est marqué par des bornes clignotantes et la progression se fait à très faible vitesse. Le pilote donne ses instructions au matelot qui exécute. Le capitaine et le second, qui ont revêtu leur uniforme pour l’occasion, sont vissés sur leur talkie-walkie. Et sur le pont inférieur, les hommes sont prêts à amarrer le bateau. Une fois son flanc posé, les manœuvres d’amarrage sont millimétrées. Et à nouveau les opérations à quai vont donner au cargo un nouveau visage.

Le voyage en cargo ou l’art d’apprivoiser l’ennui

Tout ce temps libre peut effrayer, il peut être rassurant d’emporter une cargaison de livres (la liseuse est une bonne option pour avoir des ouvrages variés sous la main), de musique ou de films et de préparer une liste de taches pour s’occuper (activités artistiques, méditation, exercices de renforcement musculaire, apprentissage d’une nouvelle langue, etc.). Une salle de sport est aussi à la disposition des passagers. Et sur le vélo avec vue sur mer, montées et descentes s’enchaînent en fonction du roulis du bateau. Une fois que l’on a pris ses marques, on peut aussi laisser l’ennui poindre car il fait partie du voyage. Avoir le temps, c’est bien là l’un des objectifs du voyage et pour réaliser la distance qui nous sépare de notre destination, il faut bien s’ennuyer un peu. Déconnecter complètement c’est aussi ne rien faire du tout, sans culpabiliser. Quant à ces moments purement contemplatifs à observer la trace des turbines dans l’eau, le mouvement des vagues et le bleu du ciel, ils sont uniques. Le temps a beau s’égrener lentement, après plus de trois semaines à bord, les buildings de Fortaleza, au Brésil, finissent par surgir au loin sur une mer aux étonnants camaïeux de bleu puis de vert. Déjà ?!

Infos pratiques

Côté budget, comptez environ 100 euros par personne et par jour en pension complète. Pour plus d’informations sur les voyages en cargos, contactez The Traveller’s Club, 4 quai d’Arenc, à Marseille. Tel. 04.88.66.65.02