La fin de semaine qui a suivi l’invasion russe, nos ventes ont complètement chuté
, raconte la propriétaire du bar Brash & Sassy Vodka Bar, Jasmine Daya.
Il y a tout juste un mois, cet établissement situé au centre-ville de Toronto s’appelait Pravda Vodka Bar et affichait une thématique soviétique.
Ses murs étaient couverts de tableaux à la gloire de l’Union des républiques socialistes soviétiquesURSS. Un énorme portrait de Lénine trônait au milieu de la salle à manger et une série de drapeaux arborant la faucille et le marteau, les symboles du communisme, étaient suspendus au-dessus du bar, sans compter l’énorme statue de Staline devant laquelle les clients avaient l’habitude de se prendre en photo.
Toutefois, en quelques jours seulement, presque toutes les traces de sa décoration soviétique ont disparu.
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La statue est si grosse que nous ne pouvons pas la faire sortir par la porte. L’ancien propriétaire l’avait fait entrer par la fenêtre. Nous allons donc devoir la garder cachée ici parce que nous ne savons pas comment la faire sortir
, raconte Jasmine Daya en tirant le rideau d’une pièce de rangement.
Au sous-sol, une énorme faucille et un marteau sont maintenant ensevelis sous des caisses de bière tandis que des dizaines d’artéfacts soviétiques, notamment des portraits de leaders communistes, des drapeaux communistes, des poupées russes et des accordéons, s’empilent à l'abri des regards.
Les artéfacts qui décoraient autrefois le Pravda Vodka Bar, aujourd'hui appelé Brash & Sassy Vodka Bar, sont maintenant entreposés au sous-sol de l'établissement.
Photo : Radio-Canada / Andréane Williams
[Dès le début du conflit], nous avons commencé à recevoir des menaces. Elles arrivaient de partout : par courriel, sur nos réseaux sociaux, par téléphone. J’avais tellement peur que quelqu’un s’en prenne à notre établissement et que la sécurité de mes employés soit compromise que j’ai tout de suite décidé de changer notre identité de marque
, raconte Jasmine Daya, qui a dû renforcer la sécurité au sein de son établissement.
Elle ajoute avoir déboursé plus de 100 000 $ pour refaire la décoration.
Composer avec tous ces gens en colère et avec toute cette haine [et] devoir changer mon établissement, tout ça coûte très cher et a des répercussions sur mon entreprise et sur ma famille
, dit-elle, les larmes aux yeux.
Le conflit en Ukraine s’est également invité à la boulangerie Janchenko’s Bakery, dans l’ouest de la ville. Devant la colère de certains clients, ce commerce, qui sert des spécialités d’Europe de l’Est, a décidé de retirer les produits russes de ses tablettes.
Je n’avais que quelques biscuits et des pots de confitures russes, mais mes employés se faisaient engueuler et on leur demandait pourquoi nous vendions ces produits, alors j’ai dû les retirer
, raconte la propriétaire, Maria Janchenko.
La propriétaire de la boulangerie Janchenko's Bakery, Maria Janchenko, ne comprend pas pourquoi des Canadiens s'en prennent à des commerces locaux.
Photo : Radio-Canada / Andréane Williams
Ce qui me déçoit le plus, c’est que des gens avec tant de similitudes culturelles sont en train de se diviser et de se tourner les uns contre les autres [alors que] nous devrions être unis devant la tyrannie
, déplore-t-elle.
Des Ukrainiens sont eux aussi visés
Non loin de là, la librairie ukrainienne Koota Ooma est elle aussi l'objet de menaces et de messages haineux. Depuis le début du conflit, elle reçoit des courriels écrits en anglais et en russe qui appellent à la destruction des communautés ukrainiennes et des pays alliés de l’OTAN.
Sa copropriétaire, Mirka Werbowy-Onuch, pense également que son site Internet a été piraté.
Des clients me disent que les drapeaux ukrainiens qu’ils accrochent à leur voiture se font briser et même brûler
, ajoute-t-elle.
« Je suis très fâchée parce qu’ici, au Canada, nous vivons tous ensemble. »
— Une citation deMirka Werbowy-Onuch, copropriétaire de la librairie Koota OomaMirka Werbowy-Onuch affirme avoir communiqué avec la police en raison des courriels qu’elle reçoit, mais on lui a dit qu’il est difficile pour les autorités d’intervenir dans une telle situation.
Le Service de police de Toronto indique pour sa part ne pas être en mesure de confirmer si les incidents à caractère haineux envers les communautés russes et ukrainiennes sont plus fréquents.
La propriétaire de la librairie ukrainienne Koota Ooma, Mirka Werbowy-Onuch (droite), a elle aussi reçu des menaces par courriel.
Photo : Radio-Canada / Andréane Williams
Lorsqu’il y a des conflits internationaux ou que nous savons que des communautés sont à risque, nous renforçons la présence policière dans ces communautés et nous entrons en contact avec leurs leaders pour les inciter à signaler ces incidents
, affirme Alex Li, porte-parole de la police de Toronto.
Malgré tout, Mirka Werbowy-Onuch ne craint pas pour sa sécurité.
Si quelqu’un venait nous insulter, je l’inviterais à venir décorer des œufs de Pâques ukrainiens. Ça l'aiderait à relaxer
, dit-elle en riant.