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Dis-moi comment tu décores ta maison, je te dirai d'où tu viens

La chambre baigne dans l'ambiance laiteuse et tamisée par la lampe en papier hanji, confectionnée à partir de mûrier de Chine. Autrement appelé mûrier d'Espagne, il fait miroiter une belle boîte à bijoux nacrée façonnée selon l'art traditionnel coréen du najeon. Le lit américain, king size, occupe presque toute la pièce aux teintes grises. « L'aménagement mobilier est relativement le même qu'en Europe », décrit Adélaïde Lucena, une Française installée en Corée. Elle apprécie, là-bas, le sol propre et chauffant qui permet de s'y allonger en lisant. « Petit détail rigolo, les Coréens rangent le clic-clac et le sortent seulement quand l'invité doit y dormir. »

Yi, une Pékinoise séjournant en France, n'a pour sa part pas été tellement dépaysée dans l'Hexagone. « Dans les grandes villes chinoises on retrouve les mêmes chaînes de magasins qu'en France. On achète beaucoup chez Ikea, car c'est abordable et la plupart des Chinois aiment la simplicité. Ils ne décorent pas beaucoup mais les jeunes le font de plus en plus, en s'inspirant de ce qu'ils voient sur des applications comme Instagram ou Redbook. » Quant à l'intérieur de la grand-mère portugaise de Susana, le salon est chargé de bibelots, de napperons, de gros meubles et d'azulejos, ces carreaux de faïence peints de figures géométriques souvent bleues. « On expose les souvenirs, les photos, il y a beaucoup de poussière. Ce n'est pas cocon, plutôt austère, mais aujourd'hui, tout le monde s'équipe chez Ikea »

Pourquoi cette chaîne de décoration suédoise a-t-elle conquis le monde ? Y aurait-il un goût universel pour les intérieurs scandinaves, caractérisés par le cosy ? « Les gens ne recherchent pas forcément un intérieur chaleureux, même si c'est une envie plus forte depuis que la pandémie nous a confinés chez nous. Le phénomène Ikea est avant tout économique », résume Anna Bernagozzi, théoricienne du design à l'Ecole des Arts Décoratifs (Ensad). La recette de la marque ? « Elle est partie de matières chaleureuses, de formes simples, et y a ajouté des prix attractifs, la personnalisation et la modularité des meubles que chacun peut construire - et il y a un certain plaisir à construire soi-même. Ikea a démocratisé cette illusion de devenir artisan », développe l'enseignante, qui explique la standardisation d'un point de vue industriel (la fabrication en série) et psychologique (est-ce que chacun a envie de ressembler à l'autre ?). Mais en face, la personnalisation a également le vent en poupe. « Elle est possible avec peu de moyens ; le Do it youself (DIY) s'est d'ailleurs largement diffusé ces vingt dernières années. »

Restent des spécificités locales que la globalisation ne peut écraser. La chaîne doit par exemple tenir compte du fait que les Italiens aiment les oreillers… rectangulaires.« Nous leur avons créé une taille spéciale. Les Américains eux plébiscitent les matelas mous, alors qu'en Chine, ils sont très durs : ils les considèrent comme meilleurs pour le dos et aiment les utiliser comme surface pour prendre les repas », énumère Enrica Magnalardo, responsable de l'inspiration et de l'aménagement Ikea France. A plus grosse échelle, les magasins de Bayonne proposent des rangements pour la planche de surf et là où il pleut, des casiers pour les bottes et les parapluies.

Le dénominateur commun aux Français, selon l'entreprise qui visite entre 50 et 100 logements chaque année pour suivre leurs tendances ? « Ils mélangent diverses inspirations au coeur de la maison, comme un esprit contemporain au salon et une chambre à l'esprit plus authentique, mais la personnalisation est également importante, donc ils s'expriment au travers d'objets porteurs d'histoire tirés des marchés aux puces ou du mobilier de famille et en réalisant des DIY », renseigne l'architecte d'intérieur. Dans son dernier rapport, Ikea a également calculé qu'il est important pour 42% des Français d'avoir un jardin privé. « Nous faisons donc entrer la nature chez soi : matériaux naturels et fibres comme le bambou, la jacinthe d'eau, accessoires aux nuances naturelles d'ocre, de vert, de marron, plantes d'intérieur… »

À l'inverse, en Russie, les plantes sont rares. Cela tient peut-être aux 25 °C qu'il fait couramment à l'intérieur des maisons aux murs ornés de tapis, accessoires traditionnels. « Mais aujourd'hui, comme ailleurs, le design est international, les barrières s'effacent d'un pays à l'autre, regrette la designeuse Natalia Dashkova. Les clients demandent un côté minimaliste, des choses de plus en plus simples, des nuances blanches et grises. » Plusieurs témoins russes mettent tout de même en avant une différence avec d'autres pays : eux ferment leurs rideaux.

Dans le même registre, aux Etats-Unis, on privilégie les stores et les volets ne sont que décoratifs, signale Mary-Margaret, une Américaine vivant en France. « Moi j'aime les french windows et les french doors : des fenêtres qu'on ouvre en grand et en deux et que l'on ne pousse pas vers le haut. J'adore ça, c'est typiquement français ! » Ce qu'elle aime moins, ce sont les toilettes en dehors de la salle de bains («c'est pourtant pratique !») et les petites pièces. « Mon premier appartement en France faisait 35 m2et les Américains me disaient : 'quelle maison de poupée !' Aujourd'hui, les Français commencent à avoir un lit king size, mais ça prend toute la place de la chambre. »

En Suède, où les couples dorment chacun sur leur matelas et font couette à part, les fenêtres sont entièrement dénudées. « On n'a rien à cacher », explique Johanna, qui ajoute que les habitants d'un même immeuble mutualisent souvent les buanderies, la salle de sport, le sauna. Un des traits caractéristiques d'un intérieur français, selon celle qui vit dans l'Hexagone depuis des décennies : davantage de carrelages et plus de pierre qu'en Suède, où le matériau local phare est le bois : « Du bois clair, sous forme de panneaux muraux plus ou moins travaillés ».

Dis-moi comment tu décores ta maison, je te dirai d'où tu viens

Comme en Thaïlande, observe le Français Vincent qui y demeure. Contre les moustiques, ils posent des filets aux fenêtres et des ventilateurs au plafond pour créer des courants d'air. Ce que l'on voit peu chez nous. « L'idée d'une hélice qui tourne au-dessus de la tête ne se marie peut-être pas trop avec l'esprit de sécurité européen », esquisse l'expatrié. Mais l'indice qui révèle que nous sommes à coup sûr chez un Thaïlandais est sans doute la photo du roi ou d'un membre de la famille royale. « Je ne vois sinon que très peu de tableaux ou de photos. Ni de bibliothèques. »

À 7.000 km de là, en Egypte, Adèle passe de salons en salons, tous chargés de gros meubles - « comme ceux de nos grands-parents, mais colorés » - et avec des colonnes rococo qui ne montent pas jusqu'au plafond. « Cette décoration est très spécifique du Caire, précise la Française. Dans le sud, les appartements font plus orientaux, avec des coussins au sol. » Mais plusieurs salons ? Nihel ben Yahia, architecte d'intérieur tunisienne, indique que la maison maghrébine comporte souvent un séjour pour recevoir les invités et un autre pour la famille restreinte et les amis proches. Plus largement, « la maison est introvertie, organisée autour d'un patio. Mais les nouvelles constructions s'ouvrent de plus en plus sur l'extérieur, avec une terrasse. Et tout de même des clôtures assez hautes pour se protéger de l'extérieur ».

À l'intérieur, les styles se mélangent. « On peut trouver une pièce complètement décorée de manière traditionnelle, avec des tapis berbères et des assises basses, et une autre complètement minimaliste, moderne, inspirée de l'Occident. Encore que les Tunisiens trouvent le côté minimaliste un peu froid, donc l'égaient de touches de couleur, de tapisseries chargées… Ils cherchent à trouver l'équilibre entre l'inspiration qu'on voit sur Internet, dans les films et les magazines, et les traditions. » Toute recherche pour trouver l'intérieur qui ressemble à ses occupants prend du temps. Pour reprendre l'image du philosophe Gaston Bachelard, il s'agit d'être comme l'escargot dont le corps épouse sa coquille, sécrétée tout au long de sa vie.

Reste que quelques grandes tendances ont réussi à conquérir les foyers du monde entiers via les magazines déco et Instagram, vecteurs d'arts de vivre, comme le hygge danois et le feng shui chinois. Le hygge - prononcer « hugueu » - c'est l'ambiance cosy à la scandinave, douillette et chaleureuse, un mélange de simplicité et d'intimité. Un mot né du norvégien «bien-être» possiblement dérivé de «hug», câlin en anglais. C'est « un chocolat chaud à la lueur d'une bougie », la « sensation d'être en sécurité, protégé du monde extérieur, et de pouvoir enfin baisser la garde », définit Meik Wiking, président de l'Institut de recherche sur le bonheur de Copenhague, dans son «Livre du hygge» (First).

La recette : des plantes, des livres, de la musique, des jeux de société, des objets en bois et en céramique, des couvertures et des coussins, une pointe de vintage… et surtout des bougies ! Les Danois, qui en consomment six kilos par an (trois pour les Autrichiens, en deuxième position), les préfèrent naturelles, sans parfum. Si on veut éviter de s'intoxiquer les poumons, une lampe peut rattraper le coup, à condition que sa couleur avoisine celle d'un feu de cheminée ou d'un soleil couchant. L'ensemble est ensuite à adapter selon la météo : « Dans un climat rude, avec un environnement hostile, c'est encore plus important que l'intérieur soit sécurisant et chaleureux », remarque Johanna, une Suédoise qui constate des différences entre les Danois et les Norvégiens : « Les premiers sont davantage portés sur un design épuré, avec des couleurs claires, tandis que les seconds vont aller sur des choses plus colorées et sombres. L'effet des fjords, des montagnes, des forêts. » Sortez les plaids !

Le feng shui, lui, exprime l'équilibre des cinq éléments, du yin et du yang. Cet art est parti de la Chine ancienne pour toucher aujourd'hui, consciemment ou non, toute personne en quête d'un intérieur harmonieux. Le feng shui consiste à trouver l'équilibre, selon le tempérament des occupants, entre cinq éléments : le bois (plantes, parquet, tapis, vert…), le feu (bougies, cuir, capitonnage en laine), la terre (brique, carrelage, poterie), le métal (appareils électriques, granit, ardoise, béton, finitions en aluminium et en pierre) et l'eau (verre, miroirs, couleur noire). « Les cinq éléments peuvent aussi être utilisés en association avec la fonction d'une pièce pour y apporter plus d'harmonie et d'équilibre », complète Tisha Morris, dans son ouvrage « Décorer selon les cinq éléments du feng shui » (Améthyste Editions).

Dans la salle de bains, une plante contrebalancera la dominante aquatique. Pour la cuisine, des coloris appétissants, comme le vert, le jaune ou le rouge - éviter les jaunes ternes et les «couleurs boueuses», sauf si ce sont les teintes favorites du cuisinier ou de la cuisinière. Le bureau, lui, doit être au centre de la pièce avec vue sur la porte et jamais dos à la fenêtre, recommandent par ailleurs les experts en cybersécurité, quand les spécialistes de l'ergonomie suggèrent de placer l'écran à sa perpendiculaire.

Pour plus de concentration, il convient d'éviter une déco «feu» chez les tempéraments sujets à énervement. Enfin, comme le séjour est un espace partagé par différentes personnalités, mieux vaut équilibrer les cinq éléments. Parallèlement, « votre foyer devrait avoir approximativement 60% d'énergie yang et 40% d'énergie yin », complète Tisha Morris - à adapter là encore selon la personnalité des occupants, en dosant plus de yin sur une personnalité yang, et inversement.

Le yang renvoie aux personnes plus extraverties, aux grandes ouvertures, un style minimaliste et contemporain, le multicolore, les tons clairs et brillants. En opposition au sombre et monochrome yin. « Le feng shui est une approche spirituelle de nos intérieurs qui répond à un besoin de se sentir en équilibre dans ce monde déséquilibrant. Il permet de rassurer les gens, qu'ils se sentent mieux en organisant les éléments qu'ils ont chez eux », conclut la théoricienne du design à l'Ecole des Arts Décoratifs Anna Bernagozzi. À chacun de trouver sa voie.

En Thaïlande, il est rare d'avoir une cuisine chez soi : la rue ne manque pas de foodtrucks. En Tunisie, la confection du repas relève au contraire de l'espace intime où ne pénètrent que la famille et les amis proches. Dans sa cuisine ouverte, l'Américaine Mary-Margaret dit s'inspirer du style scandinave en laissant ses ustensiles en apparence : « Ils ne sont pas seulement décoratifs mais utiles, accessibles. C'est à la fois beau et pratique. » En Chine, on peut contempler l'effigie ou la statuette de Zaowangye, le dieu du fourneau qui protège (et surveille) la nourriture, la maison et la famille. Et en Corée, on trouvera des équipements du dernier cri. Quoique« les Coréens n'utilisent pas beaucoup le lave-vaisselle. S'ils en ont un, ils ont l'habitude de vérifier une par une les assiettes lavées », s'étonne Adélaïde. Parfois, le réfrigérateur propose des recettes selon les ingrédients qu'il renferme. Mais on trouvera presque dans chaque cuisine un cuiseur à riz et un réfrigérateur à kimchi, pour conserver à des températures précises du chou fermenté et épicé. L'équivalent de notre baguette française.

Dans la chambre, les tonalités vives, les tableaux trop chargés, le miroir en face du lit, la surabondance d'armoires et de livres sont contre-indiqués. « Plus il y a de choses dans la pièce, plus il y a d'énergie qui y tourbillonne et qui vous empêchera de vous détendre correctement », affirme Tisha Morris, dans «Décorer selon les cinq éléments du feng shui». La coach de vie y invite à « minimise[r] les autres fonctions de la chambre à coucher, en particulier les activités liées au travail ou au sport ». La chambre sera davantage yin que yang, « pour contribuer à favoriser le repos et la relaxation ». Et quand on a un enfant hyperactif, « présentant beaucoup d'énergie yang », on optera pour des couleurs apaisantes, des stores qui réduisent ou bloquent la luminosité et des tissus doux.