Fort d'une histoire sans pareille, le palace de Mayfair continue d'épouser son temps grâce à un atout rare : le chic contemporain avec, dans son sillage, célébrités et glamour.
En vous asseyant dans les confortables canapés Chesterfield du Connaught Bar, c'est probablement les compositions d'Agostino Perrone, directeur de la mixology (chef barman, quoi), qui vous feront irradier de bien-être. Mais plus encore, dans un palace historique comme le Connaught, il est un autre élément que vous pouvez presque palper dès votre accoudoir. Ce sont les légendes, l'histoire, les fantômes. Mieux que la triple moquette, ils confèrent à cette demeure érigée en 1815 une profondeur troublante.
À commencer par les marches de l'hôtel. Pendant la dernière guerre mondiale, le général américain Ike Eisenhower arrive dans son fameux blouson d'uniforme, sanglé et près du corps qu'il a lui même inventé. Mais ce n'est pas son côté débonnaire qui choque les portiers de l'hôtel, ce côté grande gueule qui déjà exaspère les Anglais : Oversexed, overpaid over here..., comme l'on pensait des Américains. C'est la présence, juste derrière lui, de Kay Summersby, un ancien mannequin chez Worth, calot crânement basculé, noeud de cravate impeccable et veste sur mesure. Sorte de Greta Garbo en uniforme, elle lui sert de chauffeur et entretiendra avec le héros une des plus belles histoires d'amour de cette époque.
En cuisine, il n'y avait pas encore Michel Bourdin. Il vint à Londres en 1975 et apporta l'étoile Michelin avec un répertoire classique qui enchantait les clients. Tout autant ce moment divin, lorsqu'avant le dessert, les maîtres d'hôtels, dans une chorégraphie aérienne, roulaient la nappe comme un papier à cigarette puis la remplaçaient dans un mouvement parfait. Michel avait un demi-frère célèbre, le grand photographe Guy Bourdin. Lorsque celui-ci venait avec ses mannequins, Michel était dans ses petits souliers : « Je peux vous assurer qu'il viendra avec une cravate, annonçait-il à ses équipes, mais pour le reste je ne peux rien vous garantir. »
Aujourd'hui, dans les cuisines du Connaught officie Hélène Darroze qui, après un méticuleux travail de fond, a pu décrocher une troisième étoile. Elle le fit loin des pressions parisiennes. Bien souvent avec les grands chefs - comme du reste avec les clients, les amants, les athlètes -, la distance désinhibe. L'hôtel, pour sa part, traverse les époques avec la grâce d'un skieur de ski nautique. Il y eut des pénombres abats-jourées, de la bonbonnière languissante, place à des volumes plus insolents à l'instar du nouveau bar The Red Room réunissant des artistes féminines autour du thème du rouge, ainsi de cette pièce accrochée au-dessus de la cheminée, I Am Rouge de Louise Bourgeois. Le Connaught reste ainsi fidèle à cette façon d'être effronté, le buste droit.
La musique est tout autre dans les chambres. Habitué des résidences privées, l'architecte d'intérieur Guy Oliver a su calmer le jeu en conciliant une discrétion toute britannique avec le design contemporain. Cela donne des univers francs avec des touches de rappel historique comme ces luminaires en acajou massif habilement mêlés de cuir souple évoquant les appliques d'origine. Parfois, le décrochement des fenêtres libère une alcôve intimiste d'où l'on peut retrouver, le temps d'un room service amoureux, l'ambiance de Mayfair et contempler la superbe fontaine réalisée par Tadao Ando sur le parvis de Carlos Place.
Le Connaught a compris que sa clientèle venait ici pour des instants privilégiés, le temps d'un shopping choisi où l'oeil est constamment en éveil, cherche le détail, le chic pointu, la touche glamour. Il a besoin de nourritures, de citations, d'éveil. L'hôtel sait y répondre sans toutefois devancer les questions. Il propose, vous disposez. Car les arguments s'alignent comme un jeu de cartes insolent : un spa, sa piscine, des oeuvres d'art, plusieurs bars, le restaurant d'Hélène Darroze, celui de Jean-Georges Vongerichten, une rôtisserie, le salon de thé, un grill, une table du chef, celle du sommelier... Curieusement, là où cela produirait un effet de satiété, ici, vous éprouvez une sorte de complicité amusée avec cette surenchère enjouée. Du reste, depuis votre profond canapé, votre main s'est levée toute seule pour appeler le barman et lui commander un deuxième americano chinato...
the-connaught.co.uk
The Connaught, Carlos Place, Mayfair, London.
François SimonÀ lire aussi sur SLTous droits réservés - Les Echos 2020
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